Loi sur la fin de vie : une « avancée sociale »… et des questions

Le texte de loi sur la fin de vie était voté à l’Assemblée Nationale ce mardi 26 mai. Trois députés de la Vallée de Seine, Karl Olive, Dieynaba Diop et Aurélien Rousseau – également ancien Ministre de la Santé et porteur du projet il y a deux ans - expliquent leur choix de vote.

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« C’est une loi que beaucoup de Français attendent ». D’une même voix, les députés Aurélien Rousseau (Place Publique, 7ème circonscription) et Dieynaba Diop (PS, 9ème circonscription) s’accordent sur la nécessité de légiférer enfin sur ce sujet, surtout pour l’ex-ministre de la Santé : « J’ai présenté le projet de loi du gouvernement, avec Agnès Germain-Le Bodo qui était ma ministre déléguée il y a deux ans, et je suis d’autant plus satisfait que le texte revienne parce que son parcours législatif avait été interrompu ­brutalement par la dissolution. »

Toutefois, il existe une différence notable entre le projet de loi défendu par l’ex-enseignant en Seine-Saint-Denis et celui présenté à l’Assemblée nationale le 27 mai : celui-ci a été scindé en deux, avec une partie sur l’aide à mourir, une autre sur l’accès aux soins palliatifs. « Cela fait partie des concessions qui ont été faites » philosophe l’élu, même si pour la secrétaire départementale du Parti Socialiste, « ce sont deux offres différentes mais qui sont complémentaires ». Du côté de Karl Olive, on est plutôt satisfait de cette mouture. « Je me sentais pris en otage, explique le député de la 12ème circonscription. L’an passé, j’aurais été favorable aux soins palliatifs, mais je n’aurais pas voté la loi parce que j’étais défavorable à l’aide à mourir. » Car les trois élus aux influences politiques différentes se rejoignent sur ce point : il y a une réelle insuffisance de l’offre de soins palliatifs dans le pays.

L’établissement Notre-Dame-du-Lac dispose d’une unité spécialisée pour les soins palliatifs, « un exemple à suivre » pour le député de la 12ème circonscription Karl Olive. (DR)

En France, seules 48 % des personnes ayant besoin de ces soins y ont effectivement accès. « Et donc un nombre trop important de nos concitoyens terminent leur vie sans un accompagnement digne, sans apaisement, parfois dans la solitude ou la douleur » reproche l’ancien maire de Poissy, lui-même confronté à ce type de cas dans sa famille. Dieynaba Diop peut elle-même témoigner de cette inégalité. « Dans ma circonscription, les unités de soins palliatifs de Bècheville et Houdan ont fermé » rappelle l’enfant du quartier de la Vigne blanche aux Mureaux, même si son confrère pisciacais tempère : « On a la chance dans les Yvelines d’avoir une offre équilibrée avec le CHIPS et son unité de soins palliatifs ambulatoire. Et il y a d’autres établissements aux portes des Yvelines comme Notre-Dame-du-Lac à Rueil-Malmaison avec une structure à part entière. C’est ce donc vers quoi nous devons tendre. »

Quant à Aurélien Rousseau, il veut également attirer l’attention sur l’application de la loi. En effet, un des reproches qui a été évoqué durant les débats, c’est de voir des demandes d’aides à mourir être plus souvent sollicitées que les soins palliatifs. « Verra-t-on émerger des inégalités géographiques ou sociales ? se demande le député. Cela serait contraire à l’esprit même de cette loi. » C’est pourquoi il appelle à une évaluation rigoureuse et continue, portant sur la répartition géographique et institutionnelle des demandes acceptées, sur les pratiques médicales, et sur les éventuels liens entre manque d’accès aux soins palliatifs et recours à ce nouveau droit. Par ailleurs, afin d’éviter les dérives, de nombreux garde-fous ont été posés avec des conditions sont ­cumulatives.

Si Aurélien Rousseau et Dieynaba Drop ont voté pour, Karl Olive à votre contre la Loi sur la fin de vie. (crédits à droite : DIeynaba Diop)

Le texte prévoit actuellement que la décision rendue le soit sous quinze jours, suivie d’un délai de réflexion de deux jours avant administration du produit léthal. De plus, le médecin ne prendra pas seul cette décision. « La collégialité est indispensable pour protéger les patients, mais aussi pour garantir la responsabilité partagée du corps médical. Ce principe doit être solidement inscrit dans la loi » martèle Aurélien Rousseau. Il disposera aussi d’une clause de conscience même beaucoup restent favorables. Un sondage commandé à l’Ifop en avril 2025 par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité révèle les chiffres de l’adhésion des médecins français à la légalisation de l’aide active à mourir. 60 % des médecins se déclarent pour, à titre personnel, à la légalisation du suicide assisté pour des personnes arrivées en fin de vie et qui le demandent expressément et de manière réitérée. Ce chiffre atteint même 75 % auprès des soignants.

Mais comme tout texte sujet au débat, une fake news est apparue sur les réseaux sociaux au sujet du délit d’entrave. Celle-ci se retrouve volontairement tronquée afin de faire peur à la population. « Il ne concerne ni la famille ni les proches qui tenteraient de dissuader le patient de recourir à l’aide active à mourir, précise la députée de la 9ème circonscription. Elle ne concerne que les professionnels qui entraveraient l’information sur l’aide active à mourir, c’est-à-dire la possibilité du patient d’y recourir s’il rentrait dans les critères. » Son homologue de la 7ème circonscription a d’ailleurs vu ces peurs se manifester : « Je reçois des centaines de mails de personnes âgées qui se demande si on veut les tuer. Je leur réponds que non, ce sont pour des pathologies incurables qui résistent aux traitements antidouleurs, qui, dans une phase avancée, se sont aggravées. Donc cela ne concerne pas la vieillesse. » « Je redoute les effets de seuil, les pressions induites, les équilibres fragiles que ce droit nouveau pourrait entraîner, en particulier chez les plus vulnérables, les plus isolés » craint tout de même Karl Olive.

Une totale liberté de parole et de vote

Alors que certains débats ont tourné au pugilat, notamment la réforme des retraites, ceux sur l’aide à mourir sont restés cordiaux, malgré les 1 800 amendements déposés. « Je salue la sérénité et la qualité des débats que nous avons eus à l’Assemblée. Ça a été long, voire très long. Mais ça s’est fait dans le respect de chacun » admire Aurélien Rousseau. Par ailleurs, aucune consigne de vote n’a été donnée pour que chacun puisse faire son choix en son âme et conscience. « Au sein même de notre groupe socialiste, il y a des gens qui sont contre l’aide active à mourir. Il y a aussi des députés du Rassemblement national qui sont pour la loi. C’est un sujet éminemment sensible et qui touche à l’intime. Et donc il ne peut y avoir une position collégiale de groupe » décrit Dieynaba Diop. Si Karl Olive sera bien présent pour la séance du 27 mai, il aurait préféré un autre mode de scrutin. « Ce n’est pas à 577 élus de la République de valider un texte aussi important, un référendum aurait été plus ­approprié », juge-t-il.

En cas de plébiscite au palais Bourbon, le texte prendra la direction du Sénat. « On a fait un vrai travail parlementaire, avec des vrais compromis, et j’espère que ces relectures seront respectueuses de ce travail » espèrent les deux élus étiquetés Nouveau front populaire. Dans tous les cas, l’ancien ministre de la Santé ne veut pas voir dans le vote de cette loi une conquête sociale ou une victoire des uns contre les autres. « C’est un droit individuel qui ne renverse pas la hiérarchie entre la vie et la mort, théorise le député. Elle permet, dans des cas où il n’y a aucun doute sur l’issue de souffrance, d’y mettre un terme plus rapide. C’est la décision des individus qui prime et qui doit primer » avant de rappeler la phrase de Simone Veil. La ministre de la Santé sous Valery Giscard d’Estaing avait déclaré qu’une femme ne recourt jamais de gaieté de cœur à l’avortement. « La loi sur l’aide à mourir est sur ce même degré de ­gravité », conclue-t-il.