
« Ici, le passé côtoie l’avenir ». C’est dans l’ancien hall d’intégration d’Ariane 5, sur le site historique des Mureaux, qu’Antonin Ferri, directeur des programmes futurs d’ArianeGroup, nous a reçus la semaine dernière. Là où s’érigeaient autrefois les emblématiques lanceurs européens, les ingénieurs s’affairent désormais autour d’un petit nouveau : Thémis. Rien à voir avec la déesse de la justice. Mais tout à voir avec l’avenir de l’industrie aérospatiale européenne : ce prototype d’étage de fusée réutilisable, en développement depuis cinq ans, s’apprête à franchir une étape décisive, celle des premiers essais de vol, qui sont attendus dans les prochains mois.
Une fois les derniers assemblages réalisés, ce beau bébé de 30 tonnes et d’autant de mètres de long voyagera jusqu’en Suède, où il est attendu prochainement. C’est sur la base de Kiruna qu’il effectuera son premier vol d’essai d’ici la fin de l’année 2025. « Le but est d’avancer petit à petit, on va d’abord faire des tests de remplissage avec du carburant neutre pour voir que tout fonctionne, avant d’aller plus loin avec l’allumage de la chambre » nous explique Delphine, responsable du projet Salto (reuSable strAtegic space Launcher Technologies & Operations).
Si l’objectif est bien que Thémis retombe (littéralement) sur ses pattes après un « saut de puce » de 20 mètres d’altitude, Antonin Ferri insiste sur la nouvelle philosophie adoptée par Ariane Group : le « test and learn ». « On veut faire de nouvelles tentatives technologiques, mais aussi adopter un nouveau style de développement, et prendre des risques pour apprendre plus vite. On se donne le droit à l’échec, mais à l’échec intelligent ».

Apprendre plus vite est en effet une nécessité, quand on voit à quel point la concurrence, incarnée par les fusées SpaceX d’Elon Musk et Blue Origin de Jeff Bezos aux États-Unis, a rapidement pris le virage du réutilisable pour ses lanceurs. Ce qui leur permet d’augmenter leur cadence de lancement, mais aussi de réduire les coûts et l’impact sur l’environnement. « L’intérêt, c’est de déconnecter la capacité de production du nombre de lancements », souligne Antonin Ferri. S’il admet que le groupe « regarde ce qui se fait ailleurs », le directeur des programmes futurs du groupe assure qu’ils n’essaient de « rattraper personne ». Seulement de « développer une autonomie économique et stratégique » en choisissant « les technologies les plus adaptées ». Cela passe donc par des innovations technologiques comme le moteur Prometheus, moteur cryogénique à poussée modulable également développé par Ariane Group et testé ces derniers mois du côté de Vernon.
Il est encore difficile de dire quand une fusée Ariane réutilisable pourra s’élancer vers les étoiles. D’abord parce que le géant de l’aérospatial européen n’a, pour l’heure, qu’un prototype de l’étage en question entre les mains. Mais aussi parce qu’il dépend des ressources qui lui sont allouées. Un deuxième contrat lie Ariane Group à l’Agence Spatiale Européenne pour un deuxième véhicule Thémis, qui permettra d’aller plus loin dans la phase de test. Pour le reste, l’avenir nous le dira. Une seule certitude : Ariane 6 effectuera son second vol en août prochain, avant que d’autres ne suivent d’ici la fin de l’année.