
On s’attendait, forcément, à une rentrée politique agitée avec le budget à l’horizon. Mais personne n’avait vu venir un tel coup de poker : le Premier ministre François Bayrou a décidé de prendre l’Assemblée nationale de court, le lundi 25 août dernier, en annonçant sa volonté de convoquer un vote de confiance des députés le 8 septembre sur son programme budgétaire, qui doit permettre de réaliser quelque 43 milliards d’euros d’économies.
« J’ai été surpris, comme tous les commentateurs de la politique française ». Le député de la 8ème circonscription des Yvelines, Benjamin Lucas (Génération.s), l’avoue : ce n’était pas un scénario qu’il avait envisagé. Bien qu’il avoue se « réjouir », avec la pointe de sarcasme qui le caractérise, « qu’un Premier ministre macroniste accepte de faire ce qui est un acte banal dans une démocratie ».
« Passage en force »
Son homologue de la 7ème circonscription, Aurélien Rousseau, abonde en son sens. Et va même plus loin. « Lundi, c’était la stupéfaction, et chaque heure qui passe depuis, c’est un mélange d’incompréhension complète et de colère, peste l’ancien ministre de la Santé. Jamais ces 44 milliards d’économies n’ont été discutés. Ce chiffre, on ne sait pas d’où il vient. Donc c’est ça ou rien, et on discute après ? C’est un passage en force ».
Ce qui attise surtout le courroux du député Place Publique, au-delà de la petite réflexion du Premier ministre sur les « vacances » des députés de l’opposition, c’est sa façon d’illustrer ce « vote solennel » en simple choix entre le « chaos » et la « responsabilité ». « Je considère que la responsabilité est de l’autre côté. Mon téléphone est ouvert 24 heures sur 24 : quand un ministre me propose de discuter, je réponds tout de suite. Rappelons que c’est la première fois qu’un Gouvernement sans majorité absolue demande la confiance. La ficelle est tellement grosse qu’il s’est pris les pieds dedans. C’est fou et incompréhensible. C’est celui qui a lui-même jeté les dés qui dit qu’il ne faut pas se fier au hasard ».
Vous l’aurez bien compris, il est hors de question pour Aurélien Rousseau de voter la confiance le 8 septembre, conformément à la ligne édictée par son parti. « Je suis convaincu par ma connaissance de l’État que cette trajectoire n’est pas tenable, et économiquement dangereuse ». La question ne se pose pas non plus du côté de Génération.s et de Benjamin Lucas. « On ne peut pas voter la confiance si on n’a pas confiance en sa politique », insiste-t-il.
« Chaos ou responsabilité »
Si cet ultime baroud d’honneur de l’actuel maire de Pau a des airs de roulette russe, celui-ci reste « persuadé » que « ça peut bouger » positivement d’ici la date fatidique du 8 septembre. C’est d’ailleurs lors d’une interview au format inédit – entouré de trois journalistes des principales chaînes d’information en continu – dimanche dernier, qu’il a défendu ses choix. « De fait, c’est une démission en deux temps, analyse Benjamin Lucas. C’était évident dès qu’il l’a annoncé, pour moi, que ça déboucherait sur la chute du Gouvernement ».
Il y en a bien un qui va, lui, faire le choix de la fameuse « responsabilité », selon les mots de François Bayrou : Karl Olive, député Renaissance de la 12ème circonscription des Yvelines. « Le 8 septembre, je voterai la confiance à François Bayrou, car il faut être lucide sur l’abîme que représente notre dette : 3 400 milliards d’euros, et déjà 66 milliards d’intérêts rien que pour 2025, lance-t-il avec gravité. On ne peut pas fermer les yeux et laisser l’addition aux générations futures ».
Celui qui s’est récemment lancé dans la campagne des élections municipales dans son fief pisciacais assure toutefois qu’il « défendra bec et ongles » ses convictions lors du projet de loi finances. Pour lui, « pas question de faire travailler deux jours fériés ». Il estime préférable de « mettre à travailler ceux qui ne travaillent pas, plutôt que d’imposer davantage ceux qui travaillent déjà ». Le député affiche également son soutien aux pharmaciens, « dernier rempart contre les déserts médicaux », ainsi qu’aux retraités, qui « ne doivent pas être une nouvelle cible fiscale » selon lui.
Vers une dissolution ?
Après l’échec Barnier, un nouveau revers se profile donc pour la Macronie. Reste la vraie question : comment sortir de l’impasse ? Pour la gauche, vous vous en doutez bien, la solution est toute trouvée : faire respecter le résultat des élections législatives de 2024, qui avaient vu le Nouveau Front Populaire arriver en tête des suffrages. « C’est la seule solution aujourd’hui », assure Benjamin Lucas. Selon lui, Emmanuel Macron « doit faire son devoir démocratique et constitutionnel », en lui confiant au NFP « la responsabilité de proposer un budget pour le pays ». Toutefois, il admet que cela ne semble clairement pas être son intention. « Avec Emmanuel Macron, c’est mon bilan, rien que mon bilan. Il fait tout pour le préserver. Et si nous gouvernons, c’est pour faire l’inverse de ce qu’il fait. S’il ne nous choisit pas, cela doit avoir des conséquences ».
Autre solution : une VIème République pour sortir de la « crise de régime ». Volonté d’un élu LFI ? Non non, plutôt cri du cœur de Karl Olive, sur le plateau de BFM TV le 26 août dernier, qui appelle de ses voeux « un nouveau logiciel, un reset, plus de pouvoir au Parlement, plus de décentralisation au niveau des collectivités », mais aussi une réduction du nombre de députés « pour faire en sorte qu’il y ait moins de lois » mais « qu’on passe plus de temps pour voir si elles sont efficientes ». Quant au petit jeu du casting pour mener le prochain Gouvernement, l’ancien maire de Poissy a déjà donné son favori, en la personne de… Gérald Darmanin. « Il parle à tous les Français : à gauche comme à droite, aux classes moyennes comme aux plus fortunés », avance-t-il.
Aurélien Rousseau, lui, se veut plus pragmatique que d’autres députés de gauche et souhaite que l’on « sorte des postures ». « Je pense qu’il faudrait maturité et humilité, pour que les différentes forces républicaines amènent le pays en état de marche jusqu’en 2027. Sinon, à un moment, on aura droit à une dissolution ».
Elle est bien là, la prochaine menace qui plane sur les institutions du pays : un potentiel retour aux urnes pour reconstituer une Assemblée nationale plus divisée que jamais, et ce à peine plus d’un an après les dernières élections législatives anticipées. En tout cas, pour l’élu Place Publique, une dissolution serait en tout cas « plus rationnelle aujourd’hui, vu le blocage dans lequel on est ». S’il assure être « obligé de s’y préparer », il ne la « souhaite pas », en raison du « besoin de stabilité des Français » et de la « pression de la droite et de l’extrême droite ». Car s’il y en a bien une qui se tient en embuscade, c’est bien Marine Le Pen et le RN. « C’est une obsession pour moi. Tout ça ne profite qu’aux plus extrêmes ». Alors, va-t-on devoir repasser par la case élections ? Verdict dans les prochains jours.