
« Quatre ministres d’un coup, même en interne, personne ne se souvenait en avoir vu autant lors d’une visite ». Stéphane Radu, le directeur de l’usine Renault-Flins semble un peu stressé en cette journée du 3 septembre. Même ressenti du côté de Jean-Dominique Sénart, le patron de la marque au losange, qui, pourtant, de part son CV, a dû en voir d’autres durant sa carrière.
Le gouvernement Bayrou est venu en force sur le site aubergenvillois – peut-être pour un dernier baroud d’honneur – avec quatre de ses représentants. En tête, Éric Lombard, le ministre de l’économie, Marc Ferracci, ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, Clara Chappaz ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique et Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, également locale de l’étape. D’ailleurs, l’ancienne maire de la commune n’a pas manqué de le signaler : « Mon école maternelle était juste à côté. »
Le locataire de Bercy et ses comparses se déplaçaient pour voir « l’aboutissement d’un dialogue stratégique pour tracer les perspectives d’avenir de l’industrie automobile européenne pour les prochaines décennies » et ainsi gagner le défi de la réindustrialisation. Il est vrai que Renault-Flins a bien changé depuis son inauguration en 1952. Exit les 20 000 salariés des années 70, maintenant on se fixe comme objectif d’atteindre les 3 000 pour 2026. Idem pour la production, la dernière Zoé est sortie des chaînes montages en mars 2024 – elle sera d’ailleurs stockée dans le futur « musée », censé sortir de terre en 2027 – maintenant la Refactory s’occupe de remettre en état des véhicules cabossés.

Cependant, ce n’est pas ce changement de cap qui intéresse les ministres mais plutôt ce qui se passe à l’intérieur. Et démontrer comment « une usine de plus de 70 ans a l’air plus innovante » dans son fonctionnement que « d’autres plus récentes ». Le lieu de la Refactory pour recevoir ce beau monde n’est donc pas choisi au hasard : le hub des innovations, là où la marque au losange accueille des sociétés comme Virvolt – fabricant de kits d’électrification pour vélo – ou accompagne d’autres start-up pendant 6 mois. « C’est parfois des projets un peu risqués mais c’est un moyen d’être présent sur toutes les percées technologiques » avance Thierry Charvet, directeur Industrie & Qualité du Groupe Renault.
Ainsi, Renault se revendique comme le premier groupe automobile capable de faire fonctionner un métaverse industriel. Tout cela a commencé il y a plusieurs années avec les jumeaux numériques, c’est-à-dire la modélisation de l’ensemble des équipements, soit plus de 15 000 machines. Puis en intégrant toutes les données chiffrées (3 milliards de sets de données chaque jour), les directeurs de la production peuvent maintenant suivre les activités des sites se trouvant à Tanger (Tunisie), Sandouville (Seine-Maritime) que Curitiba (Brésil) en temps réel. Le CV de l’usine en question apparaît donc sur un écran : rendement, carnet de commande, consommation énergétique, toutes les informations stratégiques sont visibles d’un coup d’œil. Ce métaverse permet aussi de faire des tests et d’améliorer des processus existants.
L’intelligence artificielle est très présente et participe aux diagnostics de maintenance. 3 000 points de qualités sont en ligne et accessibles via un portail d’aide pour l’utilisateur. « Même vous, vous seriez capable de le faire en moins d’une semaine de formation » s’amuse la salariée de Renault en charge de la présentation. L’IA est constamment alimentée par des images et peut ensuite repérer quelques erreurs avec comme exemple pour illustrer cette utilisation, la fixation d’une batterie. Un petit point rouge apparaît alors sur une photographie et nous pouvons donc apercevoir que la patte gauche était devant la patte droite alors que c’est censé être l’inverse. « Cela permet d’identifier les erreurs et d’éviter qu’une mauvaise pièce sorte de la production » explique Éric Marchiol, patron du métaverse industriel. Selon lui, depuis 2019, le groupe a ainsi pu réaliser plus de 700 millions d’euros de gains et espère « en dégager 300 à 400 millions d’euros supplémentaires ».
Autre utilisation qui s’inscrit dans l’ère de l’industrie 4.0, la réalité virtuelle. Présente dans chaque usine de fabrication, elle peut donc former des futurs salariés à plusieurs tâches complexes comme l’application de la peinture. « Cela retire de la pression et évite d’utiliser de la matière première pour rien » explique Anthony Delamare du Campus University de Renault, pendant qu’un formateur imite les mouvements des couches appliquées sur la nouvelle Renault 5, le rendu se trouvant sur un écran derrière lui. Et pour obtenir une véritable expérience dans des conditions réelles, la vitesse de cadence du véhicule peut être ajoutée et des rapports générés.

La cerise sur le gâteau de cette déambulation fut avec Wandercraft. La société co-fondée par Jean-Louis Constanza avait déjà marqué les esprits l’année dernière avec Kévin Piette. Paraplégique depuis un accident de moto, le Pisciacais avait pu participer au relais de la flamme olympique en étant équipé d’un exosquelette. Hasard du calendrier, des négociations avaient lieu au même moment entre cette entreprise et la firme automobile, celle-ci devenant même actionnaire minoritaire.
Déjà en gestation durant les discussions de partenariat, Calvin 40 – « 40 pour le nombre de jours de développement » précise le co-fondateur de Wandercraft – a ainsi pu voir le jour. La marque au losange a d’ailleurs signé un contrat pour en être approvisionné mais les chiffres sont pour le moment confidentiels. Ce robot, dont le positionnement est haut de gamme, est capable de porter des pneus. « Ce sont des charges lourdes, ce qui le différencie des robots actuels chinois et américains » note Jean-Louis Constanza. L’entrepreneur est déjà fier de la nouvelle création de ses équipes : « Il est capable de reconnaître très bien son environnement. Là, il va vous dire « je vois, trois robots jaunes avec une carrosserie de voiture probablement en cours de montage dans un enclos de sécurité » ».
Si à terme, Calvin 40 devrait effectuer plus d’une dizaine de tâches, on se défend de détruire quelconque emploi. « Porter 4 fois par minute un pneu de 14 kg en se retournant pour le poser sur un tapis au boulot, c’est vraiment un job dont l’ergonomie est très faible » justifie le co-fondateur de Wandercraft qui rappelle que les pays qui ont gardé leurs emplois industriels sont ceux les plus robotisés. Lui comme les ministres voient même un moyen de réindustrialiser le pays : « Une industrie que vous avez donnée en Asie, comme les meubles IKEA par exemple, elle ne coûtera pas plus cher à exécuter si c’est le même robot en France. Donc, il y a un potentiel colossal. »
De sa visite, Éric Lombard repart vers Bercy avec l’air satisfait – « nous sommes en train de gagner le défi de la réindustrialisation » – et assurait même une chose surprenante : « Je tiens fermement les finances du pays. » Cocasse, quand, à quelques jours d’un vote de confiance, les plus fins analystes politiques ne voyaient aucune échappatoire pour la survie du gouvernement Bayrou.