Mer des déchets : de « verrue » à exemple de la transformation du territoire ?

Le Département et la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise ont, par la voie d’un communiqué de presse commun, annoncé la future transformation de la mer des déchets le 16 septembre. La plus grande ferme aquaponique d’Europe verra le jour l’année prochaine sur ce terrain, située sur les communes de Carrières-sous-Poissy, Chanteloup-les-Vignes, Andrésy et Triel-sur-Seine. En attendant sa transformation complète dans une dizaine d’années.

Les Nouvelles Fermes

La mer des déchets, bientôt de l’histoire ancienne ? Pour le moment, c’est un brin présomptueux. Cependant, celles et ceux qui s’aventuraient au niveau de la boucle de Chanteloup ont dû apercevoir du changement, une première depuis cinq ans. En 2020, juste au sortir du déconfinement, une vaste opération de nettoyage est lancée, un « nettoiement » précise même Eddie Aït, le maire de Carrières-sous-Poissy, à la vue de toutes les actions coordonnées. Pendant un semestre, 26 000 tonnes de déchets – dont 604,02 tonnes d’amiante, 181 tonnes de gravats, 4,3 tonnes de pneus et 3,06 tonnes de végétaux – sont évacuées et rendent aux 330 Ha répartis sur les communes d’Andrésy, de Carrières-sous-Poissy, de Chanteloup-les-Vignes et de Triel-sur-Seine un aspect correct. Sur cette lancée, le président du Département des Yvelines, Pierre Bédier, propose lors d’une conférence de presse de planter une forêt pour y ­développer la filière bois dans les Yvelines.

Depuis, la transformation se faisait attendre mais les grandes lignes commençaient à être tracées. En mai 2023, l’édile carriérois rédigeait, dans le cadre d’une commission extramunicipale impliquant des associations, des institutions comme la Chambre d’agriculture d’Île-de-France et des élus municipaux de tout bord, un rapport de plus d’une centaine de page. À l’intérieur se trouvaient 12 orientations pour des opportunités d’aménagement concertées. Parmi elles, citons la quatrième : développer une production agricole hors-sol. Un impératif puisqu’à cause des sols pollués, une agriculture « normale » aurait été impossible.

« Les déchets des uns deviennent les ressources des autres »

Toutefois, les membres de la commission alertaient sur le besoin primordial de sécuriser les parcelles afin de confiner ou d’extraire les polluants soit par décaissement, soit par confinement des terres par l’ajout d’une couche imperméable. Un point de vigilance, cependant, demeurait : la production hors-sol ne doit pas s’accompagner d’une production intensive, énergivore qui permettrait de produire des produits locaux mais hors saison. Le respect de l’environnement, du local et du saisonnier reste primordial dans une démarche ­écologique et circulaire.

La conclusion de ces remarques aboutissait à la création d’une ferme, soit hydroponique, aéroponique ou aquaponique. Et c’est donc la dernière citée qui a eu le dernier mot, grâce aux Nouvelles Fermes.

Avant de rentrer plus en détail et de découvrir comment la société girondine a tiré son épingle du jeu, qu’est-ce qu’une ferme aquaponique ? C’est une méthode de production qui combine la culture de plantes hors-sol avec un système d’aquaculture (élevage d’animaux aquatiques, souvent des poissons), toujours en circuit fermé. Des bactéries nitrifiantes sont ajoutées pour filtrer les déjections animales qui sont ensuite utilisées pour fertiliser les plantes. « Les déchets des uns deviennent les ressources des autres » résume Thomas Boisserie, l’un des fondateurs.

« Ce sont eux, qui, dans une démarche de prospection, sont allées vers nous en disant « on voudrait développer une ferme sur des terrains pollués. Est-ce que vous avez ça en stock ? » » révèle Xavier Quin, directeur de projet au sein de la direction du développement immobilier du Département des Yvelines. Des discussions ont alors lieu en avril et toutes les parties prenantes – en plus de l’instance présidée par Pierre Bédier, ajoutons également la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise – sont satisfaites du projet proposé par Thomas Boisserie.

En plus de la ferme aquaponique, des pistes cyclables pourraient voir le jour.

En effet, les Nouvelles Fermes n’en sont pas à leur coup d’essai et ont déjà éprouvé leur concept à Lormont en 2019 et à Mérignac trois ans plus tard. Avec la boucle de Chanteloup, elles prennent un nouveau tournant. « Ce sera la plus grande ferme aquaponique d’Europe » précise le dirigeant. Grâce à une levée de fond de cinq millions d’euros, c’est donc une serre de plus de 2Ha qui va sortir de terre.

Les travaux ont déjà débuté depuis le 1er septembre et selon le planning prévisionnel, les habitants de la Vallée de Seine pourront profiter dès l’année prochaine (été 2026) des premières récoltes. « 80 % des produits maraîchers seront en vente directe à la ferme » avance Thomas Boisserie. À terme, l’entreprise a pour ambition de produire chaque année jusqu’à 250 tonnes de fruits et légumes et 60 tonnes de truites arc-en-ciel à destination des Franciliens dans un rayon de 50 ­kilomètres.

« C’est un retour aux racines historiques de ce territoire, on se réconcilie avec notre histoire » s’enthousiasme Eddie Aït. Avant de devenir un dépotoir à ciel ouvert, une agriculture viticole s’était développée sur la plaine, depuis le Moyen-Âge, notamment sur les coteaux de Chanteloup-les-Vignes. La crise du phylloxéra de la deuxième moitié du XIXe siècle et la seconde révolution industrielle mirent un terme à cette activité rapidement remplacée par la culture des fruits et des légumes. Les coteaux se couvrant de poiriers et de pommiers, le centre du territoire trouva un nouveau dynamisme dans la diversification de son activité agricole. Puis l’arrivée de l’épandage apporta prospérité à Carrières mais également son glas.

D’autres aménagements à prévoir

Malheureusement, la gestion anarchique des déchets d’une industrialisation toujours grandissante, a entraîné le mélange aux eaux d’épandage de produits chimiques. Les sols devenant pollués par des métaux lourds, les légumes sont déclarés impropres à la consommation et l’activité maraîchère se stoppe ainsi à la fin du XXe siècle.

« Les Nouvelles Fermes vont devenir une partie prenante de la boucle de Chanteloup et même des Yvelines » assène Eddie Aït. Il est vrai que cette production peut très bien servir aux commerces de proximité et à la restauration privée… comme publique. « On a tous pensé à C’Midy (le système de restauration scolaire dans les collèges yvelinois, Ndlr) mais on va attendre encore un peu » tempère Xavier Quin. « Ce n’est certes pas du bio mais c’est presque mieux, explique le maire carriérois. Prenons le bio marocain, s’il prend l’avion, ça perd tout son sens. Là ce sera produit ­localement ».

Si la question est donc réglée pour 2Ha, que peut-il bien advenir des 328 autres ? Dans son communiqué commun, GPSEO et le Département assure que la réussite de ce projet repose sur une mobilisation collective. En plus d’eux, l’EPFIF (Établissement Public Foncier d’Île-de-France) et les communes concernées – Carrières-sous-Poissy, Chanteloup-les-Vignes, Andrésy et Triel-sur-Seine – doivent travailler de concert pour réhabiliter la plaine, en intégrant les enjeux environnementaux, agricoles, sociaux et économiques. En témoignent les travaux de la Commission extramunicipale « Avenir de la plaine de Carrières-sous-Poissy » qui, rassemblant les parties prenantes, imaginaient le futur de la Boucle. Ainsi, l’opération aujourd’hui engagée, estimée à 66 millions TTC sur 30 ans, s’inscrit dans les orientations du rapport de la commission, ­soumises à consultation du public.

« Elle deviendra un véritable poumon vert » prédit Eddie Aït. Elle accueillera des aménagements pour la promenade, le vélo, la pédagogie environnementale, les jardins partagés hors-sol et des activités économiques compatibles avec la vocation écologique du site. Les habitants des villes concernées du territoire seront associés tout au long du processus, via des réunions publiques, des ateliers et des visites de terrain. Ainsi, dans une dizaine d’années la boucle sera enfin ­bouclée.