
C’est un long serpent de mer qui remonte à 2007. C’est en effet lors de la création du Syndicat Mixte Seine Ouest qu’il est pour la première fois fait mention d’une passerelle piétonne permettant de relier les deux communes de Poissy et Carrières-sous-Poissy. Près de 20 ans plus tard, le fruit d’un (très) long travail d’études et de financement se matérialise enfin : le chantier se met petit à petit en place en ce mois d’octobre, après une période de travaux préparatoires fin septembre, avec le terrassement de la zone et la création d’un poste d’accès.
« Le projet était dans nos statuts lors de la création du SMSO », se souvient Daniel Level. Le président du Syndicat Mixte Seine Ouest, co-maître d’ouvrage avec l’EPAMSA (Établissement public d’aménagement du Mantois Seine Aval) ne cache pas sa satisfaction au moment d’évoquer ce chantier d’ampleur qui devrait s’étendre sur un peu plus de deux ans. « Cela fait 12 ans qu’on promène le sujet avec la vitesse nécessaire en fonction de la technicité difficile et des finances ».
Il faut dire que ce projet structurant s’apprête à profondément bouleverser les habitudes des habitants du coin. Pensé pour les mobilités douces, il doit avant tout combler un vide car jusqu’ici, pour rejoindre Poissy depuis Carrières-sous-Poissy, il fallait emprunter la départementale 190, ou faire un détour par les ponts routiers. Autant dire que les piétons et les cyclistes étaient les grands oubliés. Longue de 425 mètres et perchée à douze mètres au-dessus de la Seine, la future passerelle offrira enfin un passage sécurisé entre les deux rives, en s’appuyant sur les vestiges de l’ancien Vieux-Pont détruit durant la Seconde Guerre mondiale.
Ce nouvel ouvrage n’a donc rien d’un simple trait d’union symbolique : il s’inscrit dans une logique de maillage territorial et de transition écologique. En facilitant l’accès aux transports en commun (notamment à la gare de Poissy et à son futur pôle multimodal), il permettra aux habitants de Carrières de rejoindre plus facilement Paris, mais aussi d’accéder aux équipements pisciacais sans avoir à prendre leur voiture. À l’inverse, les Pisciacais pourront profiter plus aisément des espaces naturels de l’autre rive, à commencer par le Parc du Peuple de l’Herbe.

Pensée pour s’intégrer au paysage fluvial, elle s’accompagnera d’aménagements paysagers et d’une continuité cyclable qui s’insèrera dans le Réseau Vélo Île-de-France et le parcours de La Seine à Vélo. « La future passerelle enjambera la Seine et reliera les deux communes dans des conditions de sécurité optimales pour les piétons et les cyclistes, s’est enthousiasmé le maire de Carrières-sous-Poissy, Eddie Aït. Cette nouvelle infrastructure répond à plusieurs enjeux : mettre en réseau le territoire en favorisant le passage d’une rive de la Seine à l’autre, favoriser la transition écologique en offrant aux habitants une véritable alternative à la voiture et un développement aux mobilités douces, et renforcer l’attractivité économique et le tourisme grâce à une ambition architecturale forte et à l’aménagement des berges de la Seine ».
Le chemin jusqu’à cette nouvelle passerelle n’a toutefois pas été sans obstacle. Le chantier a d’abord peiné à se dégager de ses études préliminaires et de son cadre institutionnel : le dossier, bien qu’évoqué il y a plus de 15 ans, devait encore attendre une vraie impulsion politique puis un maître d’ouvrage clair.
« Un travail important a été mené avec l’EPAMSA, souligne Daniel Level. On a beaucoup travaillé avec eux sur la faisabilité, la technique, l’acceptation par la population et la faisabilité financière. Quand on lance un projet, on fait une estimation avec des spécialistes à l’instant T. Et la réalité d’il y a 7-8 ans n’est pas la réalité d’aujourd’hui. Il y a eu le Covid, la crise financière, la hausse du coût de l’énergie… Tout a augmenté. Et puis dès lors que l’on veut faire quelque chose de bien en respectant les textes, pour que tout soit intégré au niveau des autorisations, ça prend du temps, c’est le cas pour tous les sujets importants en France ».
Par ailleurs, le calendrier des travaux a lui aussi subi des ajustements : bien que la phase opérationnelle soit désormais lancée, des documents annonçaient un démarrage en 2024, avant que la mise en place réelle du chantier ne se précise pour l’automne 2025. Ensuite, ce sont les chiffres qui ont tangué : le budget initial annoncé à environ 19,9 millions d’euros HT s’est progressivement alourdi, pour atteindre près de 26,97 millions d’euros HT (32,36 millions d’euros TTC) selon un avenant adopté en 2025. Multipartenarial, il est cofinancé par l’État, la Région Île-de-France, le Département des Yvelines, la Communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, le SMSO, et enfin les Villes de Poissy et de Carrières-sous-Poissy, qui ont vu leur participation grimper à 740 000 euros pour la première (au lieu de 467 445), et à 380 000 euros pour la seconde (au lieu de 200 000).
Mais derrière ces années de rebondissements administratifs et financiers, le projet a aussi gagné en ambition esthétique. Car au-delà de sa simple fonction de liaison entre deux rives, la future passerelle se veut un véritable signal architectural, pensé pour s’intégrer harmonieusement dans le paysage de la Seine tout en offrant une nouvelle perspective sur le fleuve. C’est en tout cas la volonté de Ney and Partners, cabinet d’architectes choisi pour donner vie au projet. « À la fin, ils n’étaient plus que trois candidats, se souvient Daniel Level. C’est vraiment cette signature esthétique, comme un voile que l’on voit à peine, qui nous a poussé à les choisir ».

Le président du SMSO insiste d’ailleurs sur l’importance de respecter l’édifice ancien, dont les vestiges restent visibles et que la nouvelle passerelle va venir épouser. « Sur la passerelle de Mantes (édifice qui va permettre de relier Limay à l’Île-aux-Dames par le vieux pont, Ndlr), on est en encorbellement, en étant accroché au pont existant, souligne le président du SMSO. Là, c’est différent. Il n’y aura pas de contact avec les piliers existants, sauf bien sûr pour arriver sur la route, sur la berge. Mars les arcs ne seront pas touchés, on a voulu préserver cet édifice historique ».
Préserver le patrimoine… mais aussi l’environnement. Située au cœur d’un secteur classé en zone Natura 2000, la future passerelle doit composer avec une biodiversité riche, notamment celle des berges et des fonds de Seine. Ainsi, les travaux ont fait l’objet d’une étude d’impact approfondie, validée par l’Autorité environnementale, et de mesures de compensation destinées à préserver les espèces aquatiques et les oiseaux nicheurs. Les zones de chantier sont strictement délimitées pour éviter toute pollution des eaux, et les phases d’intervention les plus bruyantes sont planifiées hors des périodes sensibles de reproduction.
Maintenant que les premiers coups de pioche s’apprêtent à être donnés, les acteurs s’organisent pour que le chantier se passe dans les meilleures conditions. À Carrières-sous-Poissy, lors du conseil municipal du 1er juillet dernier, les élus ont voté la création d’une commission extra-municipale de suivi des travaux. « Compte tenu de l’ampleur du projet, de son impact futur sur la vie des habitants et de son intérêt environnemental, il était important de nous doter d’un outil de veille afin d’associer une grande variété d’acteurs dans une démarche pro-active » explique Eddie Aït. Le vendredi 10 octobre avait d’ailleurs lieu sa première réunion en présence d’élus, d’habitants du quartier Bords de Seine, des services municipaux et de représentants des financeurs. Sous la présidence d’Emeric Aniambossou, conseiller municipal carriérois délégué aux mobilités, à la gestion des voies et des espaces publics, la commission aura pour mission de partager l’information auprès de toutes les parties prenantes, de veiller au calendrier du chantier et des délais annoncés, de gérer les impacts locaux et les imprévus liés au chantier, et de s’assurer de la bonne coordination avec les autres interventions.