Philosophie plutôt que théologie au collège musulman

« Le mot croyant, dans le Coran, n’existe pas. En réalité, il veut dire innocent, sous protection, sous sécurité, donc protégé par Dieu. Le Coran ne veut pas aller dans le terrain de la guerre de religion », avance l’enseignant face à onze élèves visiblement passionnés. « En fait, ce n’est pas une question de religion ! », s’exclame l’un d’eux. « Exactement : c’est une question de pouvoir et d’injustice », répond-il en sociologue.

La séance, consacrée à la sourate 85 dite des constellations, ne déparerait pas dans un cours d’histoire des religions à l’université, sans pourtant poser problème à des collégiens sacrément réceptifs. Chaque semaine, au collège du groupe scolaire privé mantais Eva de Vitray, bilingue arabe et confessionnel musulman, le sociologue Hamza Nouri dispense des cours de religion à la croisée de l’histoire, de la philosophie, de la géopolitique et de la linguistique.

« Quelque part, le Coran nous dit que les gens de Najram, quoi qu’ils croient, ont été attaqués injustement », poursuit-il face à ces jeunes. Il sont plutôt maghrébins et musulmans, mais aussi noirs ou blancs, parfois chrétiens, et en tout cas tous très attentifs. Ce jour-là, il leur fait découvrir un passage du texte évoquant un épisode pré-coranique du Sud de la péninsule arabique (l’actuel Yémen, Ndlr). Les élèves musulmans connaissent l’histoire comme celle d’une ville croyante, Najram, opprimée par un impie.

« Ils m’ont donné carte blanche, c’était la seule condition pour que j’intervienne », confie Hamza Nouri de sa présence. « C’est à partir du credo que l’islam est un humanisme que je pensais concevoir l’intervention, de sorte de faire de la philosophie très tôt », complète-t-il de sa démarche. « L’objectif est de pousser nos enfants à la réflexion, à l’analyse, à l’esprit critique et à s’ouvrir sur le monde », commente pour sa part Abdellilah Oullad, le directeur de l’établissement.

« C'est à partir du credo que l'islam est un humanisme que je pensais concevoir l'intervention », confie le sociologue Hamza Nouri de son enseignement dans ce collège confessionel musulman.
« C’est à partir du credo que l’islam est un humanisme que je pensais concevoir l’intervention », confie le sociologue Hamza Nouri de son enseignement dans ce collège confessionel musulman.

Le sociologue, ce vendredi-là, fait découvrir les confessions réelles des protagonistes, éludées dans le Coran, en détaillant la conquête, au VIème siècle, de Najram, une ville à la population chrétienne. Elle devient martyre par la guerre que lui mène le roi Dhu Nuwas, qui se convertit au judaïsme pour justifier ses droits sur cette terre, précédemment juive : « Il va faire comme si sa religion était la seule véritable, comme s’ils devaient soit se convertir, soit partir ou mourir… comme Daesh qui dit ça pour vous convertir à leur islam délirant. »

Avant d’en arriver là, plus de la moitié de la session de 45 minutes avait été consacrée au contexte géographique et historique de cet épisode. Sur ses choix d’enseignement, à la croisée de plusieurs disciplines académiques, à des enfants à peine entrés dans l’adolescence, il cite Edgar Morin et Jules Ferry. « L’une des choses qu’il a fallu le plus rectifier (depuis le début des cours en septembre 2015, Ndlr), c’est la vitesse de traitement, sourit-il. Les élèves comprennent beaucoup plus vite qu’on ne le pense, parfois même trop vite ! »

Il n’a ainsi pas été évident, pour les parents, d’être confrontés à l’apprentissage du doute par leurs enfants : « Je ne suis pas là pour leur donner des réponses, mais pour leur permettre de poser les questions, et de bien les poser. » La première année, une réunion lui a permis de mieux expliquer sa démarche, aujourd’hui acceptée et appréciée. Dans ses cours, il préfère rester concret, en amont d’une « vision juridique » de la religion, le débat sur le sujet étant « souvent stérile ».

Le cours auquel La Gazette a assisté, riche d’échanges et de réflexion, a semblé lui donner raison. Hamza Nouri rapporte, ému, le plus beau compliment qu’une élève lui a fait depuis qu’il enseigne à Eva de Vitray : « Vous voulez nous expliquer des choses que nos parents n’ont pas compris, pour que nous puissions mieux comprendre, que nous le transmettions à nos enfants pour qu’ils comprennent mieux que nous-même. » Alors, il n’a pas de doute : « La philosophie n’est absolument pas précoce pour des élèves de sixième. »

Parents, écoles, religion : quelle éducation à la paix ?

Il y a quelques semaines, une conférence à deux voix était organisée dans le cadre du dialogue islamo-chrétien des communautés religieuses du Mantois, autour de la thématique : « La religion : éducation à la paix ? » Pour les jeunes mantais venus y assister à la Grande mosquée de Mantes-la-Jolie, celle-ci se fait cependant surtout par d’autres moyens.

En fin de soirée, Yahya, 18 ans, pose ainsi cette question : « Comment garder notre sérénité quand on se fait pointer du doigt ? » Une question qui fait écho à « la stigmatisation » ressentie par la communauté musulmane. « Il faut être patient et ignorant à la fois », répond le sociologue Hamza Nouri, l’un des deux intervenants de la soirée.

Le jeune majeur confie cependant à la fin de la conférence que l’éducation à la paix commence « avec les parents. Ce sont eux qui nous apprennent la différence entre le bien et le mal ». Souhil, 18 ans, présent à ses côtés, renchérit : « L’école a aussi son rôle à jouer. Il faut apprendre à contester les stéréotypes. »