Avis négatif pour la carrière : quel développement économique pour GPSEO ?

Le conseil de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise a rendu un avis défavorable à l’exploitation d’une nouvelle carrière à Brueil-en-Vexin. Industrialisation de la vallée, ou transition vers le tertiaire, les circuits courts et les petites entreprises ont opposé les élus.

Dans la salle des fêtes de Gargenville ce jeudi 27 septembre, retentissent des applaudissements et des cris de joie de la part d’environ 70 personnes présentes dans le public. « Merci ! Merci ! », s’exclament-elles avant de sortir et laisser éclater leur joie à l’extérieur. Ce sont autant d’embrassades et d’étreintes qui viennent saluer la décision prise par les élus de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO). « On leur met une claque », s’exclame Dominique Pelegrin, présidente de l’Association Vexinoise de lutte contre les carrières cimentières (AVL3C), après avoir étreint Michel Vialay (LR), député de la huitième circonscription.

La tension et les dissensions très fortes autour de ce projet datant des années 1990 a atteint son paroxysme la semaine dernière. Deux jours avant, trois commissions avaient débattu de ce projet, leur avis négatif laissait présager le résultat du 27 septembre. La veille du conseil communautaire, une réunion publique, organisée par l’AVL3C, réunissait 300 personnes à Juziers, dont beaucoup de nouvelles têtes. Finalement, avec 67 voix contre, 42 pour et trois abstentions, GPSEO émet un avis défavorable à l’exploitation d’une nouvelle carrière cimentière à Brueil-en-Vexin.

« Cela n’arrête rien, mais c’est symbolique », note Dominique Pelegrin. Car militants comme élus savent que dans ce dossier, c’est l’État qui aura le dernier mot. Pour autant, deux approches de cet avis défavorable, en dehors des avis personnels se dégagent. Certains pensent que cette décision rendue dans le cadre de l’enquête publique n’arrêtera pas l’État, voire pire, coupera toute discussion autour des aménagements possibles. D’autres estiment au contraire que l’État fléchira, au moins partiellement. Contactée, l’entreprise Calcia n’a pas pu commenter cette décision du fait de l’enquête publique en cours.

Mais au-delà de cette fracture, amorcée en juin dernier autour de la carrière, c’est également une fracture sur la politique à mener en vallée de Seine qui s’est dessinée, et creusée, durant l’heure et demie de débat autour de cette délibération. Pour une partie de l’exécutif et de certains élus, avec à leur tête l’incontournable président du conseil départemental Pierre Bédier (LR), l’industrialisation de la vallée de Seine reste nécessaire pour la faire vivre, en particulier dans le Mantois. Leurs opposants, eux, se tournent plus vers l’économie tertiaire et les circuits courts. Cette question de la carrière a également fait ressurgir les différentes définitions attribuées à l’intérêt communautaire.

Ce jeudi, aux alentours de 15 h, une quinzaine de membres de l’AVL3C sont déjà présents sur le parking de la salle des fêtes. « Nous n’avons aucune idée de la mobilisation, souffle sa présidente, Dominique Pelegrin. On table sur la même participation qu’en juin. » A cette époque, une cinquantaine de personnes avaient manifesté contre le retrait de l’ordre du jour d’une délibération portant sur l’approbation des modifications des Plans locaux d’urbanisme (PLU) de Brueil-en-Vexin et Guitrancourt. Quarante-cinq élus avaient quitté le conseil communautaire, entraînant sa suspension puis son annulation.

Jeudi dernier, le nombre de manifestants grossit rapidement jusqu’à approcher la centaine. Quatre tracteurs sont disposés à l’entrée principale, d’autres devant un parking dérobé, afin d’empêcher les élus d’y accéder. « Nous demandons aux élus de se montrer, nous les mettons devant leurs responsabilités », expliquait la veille la présidente de l’AVL3C lors d’une réunion publique. Distribution de tracts et vivats « Non à la carrière » se font entendre pour chaque élu. Ils seront plus forts lors de l’arrivée du président de GPSEO, Philippe Tautou (LR), et du vice-président au développement économique, Pierre Bédier (LR).

En préambule au débat, Philippe Tautou invite les élus présents à « assortir notre vote favorable d’une réserve pour montrer qu’on prend bien la mesure des attentes des uns et des autres ». Et de justifier de cet avis favorable, la prise en compte par Calcia de l’incidence sur les nappes phréatiques : « L’entreprise Calcia, depuis maintenant plusieurs années, a travaillé sur ce sujet là particulièrement, ils ont apporté des modifications importantes sur leur projet. A travers les concertations, il y a eu à constater des améliorations. »

Le nombre de manifestants grossit rapidement jusqu’à approcher la centaine. Quatre tracteurs sont disposés à l’entrée principale, d’autres devant un parking dérobé.

Mais très rapidement, au fur et à mesure que les prises de positions s’enchaînent, en parallèle de l’implantation ou non de la carrière, se dessinent également les visions, opposées, sur le devenir de la vallée de la Seine. « C’est un peu compliqué de s’exprimer sur cette délibération quand on n’est pas vraiment concerné […]. Selon qu’on est éloigné ou proche, selon qu’on est orienté vers l’économie ou l’écologie, avance ainsi Denis Faist (UDI), adjoint andrésien et président du groupe Indépendant Seine Oise (Iso). Le développement durable, c’est les trois entités. »

Quelques minutes avant, Philippe Tautou a rappelé le contexte particulier de la vallée de Seine, et à plaidé pour l’extension de la cimenterie : « Les entreprises sur notre territoire, on a beaucoup de difficultés à [les] faire venir, que celles qui sont sur le territoire puissent se développer harmonieusement et conformément à la loi. »

Dernier à prendre la parole, Pierre Bédier tient d’abord a rappeler le contexte historique de la vallée de Seine : « L’histoire récente, c’est cette fédération de maires qui ont demandé à l’Etat, et c’était une première en France, de réaliser sur le territoire de la vallée de Seine désindustrialisée et appauvrie une Opération d’intérêt national (OIN). Le fil conducteur de cette OIN était le développement économique. » Il questionne ainsi l’assemblée : « Quel est maintenant le contexte de notre développement économique ? »

La veille à Juziers, lors de la réunion publique, l’accent avait été mis sur l’emploi « de l’autre côté de la colline », dans les petites communes du Vexin. « Dans le dossier de l’enquête publique, pour l’emploi dans le Vexin, on parle d’une entreprise de travaux publics, et donc d’une cinquantaine d’emplois, mais pas de ceux de 173 PME qui sont sur le secteur », regrette une militante.

Elle poursuit, des filières créatrices d’emploi : « Les filières vertes, de recyclage proposent et se développent actuellement. […] Dans le Vexin vous aurez des filières qui vont se développer, du loisir, du tourisme… On peut aussi imaginer des entreprises qui vont participer à la déconstruction automobile, à celle des bâtiments. »

Le député de la neuvième circonscription Bruno Millienne (Modem) avait montré son intérêt pour cette économie circulaire : « On a besoin d’entreprises de recyclage. Alors pourquoi pas proposer entre autres à cette cimenterie de se transformer en recyclage des déchets du bâtiment pour en faire du sable recyclé. »

Présente à cette réunion également, Sophie Primas (LR), sénatrice des Yvelines, y a émis une condition : « Si l’usine ferme, il faut que la reconversion se fasse tout de suite, pas dans 15 ans. » Elle a toutefois tenu à indiquer aux présents : « Je suis sensible à l’ensemble de vos arguments, j’y crois, j’adhère. » Elle avait poursuivi en mettant en avant les « enjeux financiers » qu’impliquaient de telles décisions : « La fermeture de la centrale EDF, c’est sept millions d’euros en moins. Il faut trouver une solution pour créer de l’activité. »

Pierre Bédier (LR) questionne ainsi l’assemblée : « Quel est maintenant le contexte de notre développement économique ? »

La fermeture de la cimenterie impliquerait ainsi pour la vallée de Seine de changer son fusil d’épaule en matière d’emplois et de développement économique. « Il nous restera l’économie résidentielle », assène Pierre Bédier. «  Le commerce, un peu de tourisme et la ressourcerie, cette économie circulaire qui a sa noblesse, qui certes n’est pas sans intérêt économique, mais ne correspondra pas à notre accroissement économique », détaille-t-il en promettant aux élus, en ce cas, la poursuite inexorable de l’augmentation du taux de chômage de la vallée de Seine

« Le ferment de l’activité économique française c’est surtout la PME-PMI, lui oppose Frédéric Spangenberg (DVG), conseiller du groupe Démocratie et solidarité, après le vote. La majorité de celles qui sont sur le territoire ont moins de 20 salariés. » Lui prône un développement économique différent, et précise sa pensée tournée vers l’écologie : « Peut-être qu’on pourrait faire un parc solaire à cet endroit là (l’ancienne centrale EDF, Ndlr). »

Mais pour Pierre Bédier comme pour le vice-président à l’environnement Eric Roulot (PCF), la question sociale reste inhérente à cette fermeture : « Nous allons avoir un accroissement de la résidentialisation et pas de l’activité économique, et donc un taux d’emploi qui va continuer à se dégrader comme il le fait depuis 30 ans », termine le premier de son argumentaire. « Quand on regarde les indices, le Mantois est le territoire le plus pauvre de la communauté urbaine, argumente le second. Il y a une nécessité de favoriser le développement industriel. »

Outre cette question de développement économique, c’est aussi la question de l’essence même de la communauté urbaine qui est posée : quelle est la définition de l’intérêt général, communautaire ? Là aussi, les divergences sont nombreuses. « Je vous ai entendu, Monsieur le président, vous nous avez dit que jamais la communauté urbaine n’irait contre les communes, commence le maire de Sailly Gérard Béguin, du groupe Agir pour GPSEO, et ce soir-là représentant de la commune de Brueil-en-Vexin dont l’élu était empêché. Si jamais l’assemblée donne un avis favorable, ce sera une première qui pourra en engendrer d’autres. […] La solidarité sera ébranlée. »

Une inquiétude à laquelle Philippe Tautou répond : « Ce n’est pas sous cette forme-là que je l’ai dit, car dans les 73 maires, un maire trouverait toujours moyen de ne pas être d’accord avec un projet. Trouver l’unanimité de 73 maires, ça voudrait dire qu’on plonge véritablement tout le monde dans le système de ne rien faire. »

Cette notion de solidarité intercommunale sera reprise par les différents élus demandant la parole. « Il me semble invraisemblable d’aller contre les maires opposés à ce projet », note Albert Bischerour, du groupe Démocratie et solidarité, tandis que Cyril Nauth (RN) évoque pour son groupe « une erreur impardonnable » en cas d’avis favorable. Pour Pierre Bédier, le questionnement est différent : « Est-ce que nous sommes une addition de communes ou est-ce que nous sommes autre chose ? Nous ne sommes pas un conseil communautaire si nous ne portons pas une ambition commune. »

Un vote à bulletins secrets sera demandé par Sophie Primas, au nom du groupe majoritaire Agir pour GPSEO. « J’ai entendu dans des réunions, dans des échanges, que des votes pourraient être faits sous pression », justifie-t-elle de cette décision. Une proposition qui fait réagir dans les rangs du public, mais qui sera adoptée. Cependant, quelques jours plus tard, Frédéric Spangenberg s’indignera sur Facebook d’un vote dont le secret n’a pas été initialement respecté : « Je suis gêné de vous dire que, incidemment, le vote à bulletin secret avait été loupé dans un 1er temps, le vote ayant été réalisé sans le secret demandé. »

Le nombre de manifestants grossit rapidement jusqu’à approcher la centaine. Quatre tracteurs sont disposés à l’entrée principale, d’autres devant un parking dérobé.

Après le vote, à l’extérieur de la salle des fêtes, on se montre un peu surpris, même si l’on s’y attendait. « Beaucoup d’élus nous ont expliqué avoir changé d’avis depuis le début, grâce à nous », souligne Fabienne Lauret, militante de l’AVL3C. Des élus, à l’image de Cécile Dumoulin (LR), conseillère départementale du canton de Limay.

Cette dernière exprimait la veille les raisons de son revirement : « J’étais au départ pour les carrières […] En 2010-2011, j’avais demandé une modélisation pour que les gens puissent se rendre compte de l’évolution du site, ce qu’on a vu en réunion ce n’était que des coupes. L’AVL3C a réussi à me convaincre que c’était un mauvais projet pour la santé, l’environnement, l’eau. »

Pour Djamel Nedjar (DVG), du groupe Démocratie et solidarité, le résultat est surtout « une question de générations ». Il poursuit, de la perception de ces élus favorables à l’économie circulaire. « Bien sûr qu’on est pour l’industrie et des emplois industriels peu qualifiés, mais à un moment, il faut aussi se soucier du cadre de vie. A quoi ça sert de pouvoir bosser si c’est pour crever a 60 ans sans droit a la retraite ? » , interroge-t-il en assumant de pousser au bout le raisonnement des élus favorables à la carrière.

Désormais, qu’ils soient favorables ou non au projet, tous restent suspendus à la décision de l’État, seul décisionnaire. « Il est important de pouvoir envoyer des signes », rappelait quelques minutes avant le vote Michel Vialay (LR), ex-maire mantais et député de la huitième circonscription. L’avis défavorable entériné, certains élus sont plutôt pessimistes quant à leur possibilité de se faire entendre. « Stratégiquement, le oui chargé d’exigences était plus pertinent, il y avait possibilité de faire bouger le projet, souligne Eric Roulot. Quand on arrive et qu’on est contre, on perd en crédibilité. »

Un premier signal semble déjà avoir été émis. Ce vendredi 28 septembre, le député Bruno Millienne annonçait sur son compte Twitter que la durée de l’enquête publique avait été prolongée d’une semaine, jusqu’au 26 octobre. « Les lignes bougent un petit peu, reconnaît celui qui ne se déclare ni confiant ni pessimiste. La commission d’enquête a entendu qu’il s’est passé quelque chose. »

Depuis 1994, les rumeurs d’extension de la carrière de Guitrancourt circulent. A cette époque, le Parc naturel régional du Vexin est créé autour de 94 communes yvelinoises et valdoisiennes pour préserver le territoire du futur parc. Mais jusqu’en 2015 et l’arrêté de projet d’arrêté général émis par la préfecture yvelinoise, rien n’avait vraiment été arrêté. Le projet a connu des modifications, la plus récente ayant été présentée en juillet 2016. Au lieu d’une piste à travers les bois, un projet de convoyeur souterrain est désormais entériné pour relier la carrière brueilloise à la cimenterie gargenvilloise.

Depuis vingt ans, la question de l’eau et de la pollution de l’air est centrale pour les opposants comme pour les partisans du projet. Le nouveau projet prévoit de s’arrêter à un mètre de la nappe phréatique alimentant la Montcient et les communes alentours. « Je relisais les délibérations du conseil municipal des années 1980 sur l’autorisation d’ouverture d’une carrière a Gargenville, expliquait en début du conseil Jean Lemaire (UDI), favorable. On avait émis des craintes concernant la nappe phréatique, la flore, la faune, et aujourd’hui, on retrouve les mêmes thèmes. »

A l’annonce du vote, applaudissements et des cris de joie de la part d’environ 70 personnes présentes dans le public.

Concernant l’impact de l’exploitation cimentière, il relativise : « Sur Guitrancourt, la faune et la flore est quasi plus importante qu’avant l’exploitation où c’était à l’abandon et c’est ce qu’il se passera à Breuil. » Son homologue limayen Eric Roulot ajoutait, lors de son plaidoyer favorable devant le conseil : « En tant que vice-président à l’environnement, je voudrais dire qu’il y a eu beaucoup d’études de réalisées, que l’autorité environnementale a émis des observations, et notamment une réserve pour prendre des mesures pour protéger l’eau. Là, effectivement, je trouve que Calcia n’est pas clair. »

Les responsables de l’AVL3C comptent désormais sur leurs élus, maires, conseillers départementaux, sénateurs, dont tous ont salué le travail, pour porter leur voix aux ministères concernés, ceux de la transition énergétique et de l’industrie. « C’est un moment de passation, expliquait en préambule de la réunion juziéroise sa présidente. On se tourne vers les élus, on leur remet le dossier concernant la pollution de l’air, de l’eau, il faut clarifier la situation. » Embrayant sur ce discours, Michel Vialay, lui, appelait à une mobilisation sans précédent : « De grâce, dès demain, allez rendre vos observations, participez à l’enquête publique, cela ne prend que trois minutes. »

PHOTOS : LA GAZETTE EN YVELINES