Fermés administrativement, les restaurateurs s’impatientent

Outre une baisse de chiffres d’affaires, beaucoup de restaurateurs affirment ressentir le manque de leur clientèle. Certains se tournent vers le service de livraison à domicile.

« Les établissements recevant du public, notamment les bars et les restaurants seront fermés. » La décision prononcée le 28 octobre par le président de la République, Emmanuel Macron (LREM), pour enrayer l’épidémie de coronavirus, devait durer au minimum jusqu’au 1er décembre. Elle a finalement été prolongée jusqu’à une date indéterminée. Contactés, plusieurs restaurateurs, implantés en vallée de Seine, affirment que cette absence de réponse concrète les « inquiète ». Outre la baisse de leur chiffre d’affaires, compensée en partie par les aides financières et la possibilité de continuer la livraison à domicile, les professionnels de ce secteur disent également ressentir le manque de ne pas pouvoir recevoir leurs clients à table depuis ­plusieurs mois.

« On ne crée pas un commerce ou un restaurant pour simplement faire du chiffre d’affaires, mais aussi parce qu’on aime bien accueillir ses clients […], rappelle le 29 janvier, le président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Versailles-Yvelines, Gérard Bachelier. Avoir la possibilité d’accueillir les clients est essentielle pour eux. ­Psychologiquement, c’est [donc] difficile. »

À en croire Yann, le propriétaire du restaurant familial Le jardin breton à Verneuil-sur-Seine, c’est justement cette volonté d’être au contact de sa clientèle qui l’a conduit à participer, le 23 janvier, au marché des bords de Seine à Triel-sur-Seine, dans lequel les restaurateurs étaient conviés. « C’est plus pour continuer à avoir un contact avec les gens que pour l’aspect financier parce qu’on a quand même des aides », déclare-t-il ce jour-là, lorsqu’on l’interroge sur le motif de sa présence, tout en continuant à servir crêpes et galettes à ses clients, dont la file d’attente s’allonge ­progressivement.

Alors que ses trois employés sont au chômage partiel, Yann est toutefois catégorique quant à la possibilité de poursuivre l’activité de son restaurant, par le biais d’un service de plats à emporter, qui lui permettrait pourtant de conserver un lien avec ses clients. « Je ne fais pas de ventes à emporter parce que je n’ai pas suffisamment de clientèle pour que cela soit intéressant d’ouvrir », explique-t-il.

Gérard Bachelier insiste pourtant sur la nécessité de mettre en place un dispositif de ventes à emporter pour aider les restaurateurs tant sur le plan moral que financier. « On sait très bien qu’il y a une crise sanitaire actuellement et qu’il peut y avoir d’autres crises sanitaires du même type. Il faut donc absolument que les commerçants et les restaurateurs s’adaptent à un nouveau système de fonctionnement sans abandonner, bien sûr, le modèle habituel […]. C’est important qu’on garde cette convivialité qui permet d’aller se restaurer dans les restaurants », justifie-t-il en insistant sur le fait que la CCI accompagne les entreprises dans la mise en place d’un tel service.

« C’est plus pour continuer à avoir un contact avec les gens que pour l’aspect financier parce qu’on a quand même des aides », déclare Yann, un restaurateur vernolien sur le motif de sa venue au marché de Triel-sur-Seine .

Bien que les ventes à emporter ou la livraison des plats à domicile contraignent les restaurateurs à adapter leurs menus, le président de la CCI Versailles-Yvelines prend néanmoins appui sur l’exemple de restaurants qui arrivent à fonctionner, malgré la crise sanitaire, grâce à cette adaptation de leurs services. C’est justement pour toutes ces raisons que Gérard Bachelier envisage la création d’une plateforme permettant la mise en relation des restaurateurs avec leur clientèle potentielle.

« On a pensé qu’on pouvait mettre en place quelque chose d’identique à Mes commerces à domicile. Ce serait Mes restaurants à domicile [qui permettrait] d’identifier les restaurants du territoire qui sont prêts à faire de la livraison à domicile ou bien de la vente à emporter », détaille-t-il. La date de mise en service de cette plateforme n’a cependant pas été précisée.

Le restaurant américain Jack & Joey, implanté dans le centre-ville de Mantes-la-Jolie, propose, lui, déjà un service de plats à emporter et de livraison. « [Par le biais de ce service], on n’a pas perdu nos clients fidèles. C’est pour cela qu’on reste ouvert d’ailleurs, pour continuer à garder cette relation-là », affirme l’un des gérants. En dépit de ce service, le restaurateur ne nie pas qu’il enregistre une baisse de son chiffre d’affaires, en cette période de crise sanitaire. Le gérant ne souhaite néanmoins pas divulguer le ­montant de cette perte.

Conscient du fait que la livraison de repas ou leur retrait ne compense pas entièrement les recettes financières des restaurateurs, Gérard Bachelier les met toutefois en garde sur le recours aux plateformes de livraison. « Quand il faut faire de la livraison à domicile, beaucoup utilisent des plateformes comme Uber Eats […], déclare-t-il. Mais, elles ne sont pas gratuites. Il y a une part du chiffre d’affaires du restaurateur qui est prise par ces plateformes. »

Adrien Wibail, l’un des gérants du restaurant situé à l’intérieur du Château éphémère à Carrières-sous-Poissy, explique, lui, en grande partie ses pertes de chiffre d’affaires à l’avancement du couvre-feu de 21 h à 18 h sur le territoire national, annoncé le 14 janvier par le premier ministre, Jean Castex (LREM).

« Par rapport au couvre-feu à 18 h, on ressent l’impact, parce que les gens compensent le fait de partir plus tôt le midi. On n’a donc plus du tout de commandes le midi », se désole le 20 janvier, pendant l’heure du déjeuner, ce jeune restaurateur devant son carnet de commandes désespérément vide. Ayant débuté son activité professionnelle le 1er janvier, Adrien Wibail ne réalise effectivement qu’entre « 30 et 40 % du chiffre d’affaires [espéré] ». Du fait de cette nouvelle activité et de l’absence, l’an dernier, d’un chiffre d’affaires lui servant de référence, Adrien Wibail affirme également ne pouvoir disposer d’aucune aide. « En tant que jeunes restaurateurs, on ne se sent pas du tout soutenus […], regrette-il en précisant qu’il exerce son métier par passion. C’est compliqué pour nous parce qu’on ne peut pas ouvrir au public. C’est ultra ­frustrant pour nous aujourd’hui. »

« Par rapport au couvre-feu à 18 h, on ressent l’impact parce que les gens compensent le fait de partir plus tôt le midi. On n’a donc plus du tout de commandes le midi », se désole le jeune restaurateur carriérois, Adrien Wibail.

Gérard Bachelier comprend sa frustration. « Pour ceux qui viennent d’ouvrir leur restaurant, c’est une situation difficile à accepter », confie-t-il en confirmant le fait que les nouveaux professionnels de ce secteur ne peuvent pas bénéficier de la plupart des aides gouvernementales. « La CCI a mis en place un numéro d’urgence, le 01 55 65 44 44, lance-t-il à l’intention du jeune restaurateur. Il faut que les entreprises appellent. Il y a des conseillers qui sont là, au bout du fil, et qui discutent avec eux, qui prennent le temps de les écouter, de les orienter et de les accompagner. » Ce service gratuit, auquel s’ajoute le prix d’un appel, est ouvert du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h 30.

Contactée le 29 février pour évoquer le cas des jeunes restaurateurs, une conseillère a affirmé à La Gazette que ces derniers pouvaient exposer leur situation, pour qu’un bilan individualisé soit réalisé, afin de répondre au mieux à leurs attentes et aux aides auxquels ils pourraient éventuellement prétendre.

Dans le domaine de la restauration, les gérants des établissements ne sont néanmoins pas les seuls à être impactés par les restrictions sanitaires imposées par le gouvernement. C’est également le cas des fournisseurs, comme l’explique le poissonnier Carlos Monteiro, travaillant dans le 20e arrondissement de Paris. « C’est difficile pour les approvisionnements […], déclare-t-il. Vu que les restaurants sont fermés, les pêcheurs ne pêchent pas en grosse quantité [et] ils sortent moins. » Carlos Monteiro se réjouit néanmoins de sa venue au marché de Triel-sur-Seine, le 23 janvier, durant lequel il tente d’écouler son stock de poisson qu’il ne pourra pas vendre aux restaurateurs avec lesquels il traite habituellement. « On a eu l’opportunité de faire le marché de Triel-sur-Seine [et] on va continuer [dans le temps]. On est très content. On a une clientèle au rendez-vous, qui commence à être fidèle. »

Ce jour-là, lors du marché accueillant des restaurateurs en ville, beaucoup de personnes avouent être venues pour les soutenir. C’est notamment le cas de Laeticia, une Trielloise habitant dans le quartier de Pissefontaine. « Je viens pour aider les restaurateurs en cette période compliquée, explique-t-elle. Éviter la propagation du virus est important mais en même temps, il faut bien que les restaurateurs travaillent aussi. C’est compliqué. »