120 ans après la loi de 1905, comment les jeunes s’emparent-ils de la laïcité ?

Promulguée le 9 décembre 1905, la loi sur la laïcité fête ses 120 ans. Comment ce sujet complexe est-il transmis aux plus jeunes pour qu’eux aussi puissent s’en emparer ? À Chanteloup-les-Vignes, on a fait le choix d’un jeu de plateau.

Depuis la Révolution Française, la laïcité fait partie intégrante des valeurs de la République. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par loi » stipule la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Toutefois, elle a mis du temps à s’installer réellement. Il faut attendre la 3ème République pour la voir s’enraciner après une véritable guerre idéologique entre l’État républicain et l’Église catholique. En effet, aux yeux des républicains, ce principe permet aux Français de se soustraire des organisations cléricales. L’école est directement visée comme enjeu fondamental et la loi Ferry du 28 mars 1882 remplace ainsi l’instruction morale et religieuse par l’instruction morale et civique.

Un événement majeur va ensuite survenir : l’affaire Dreyfus. Si elle divise déjà la population, l’Église s’en donne à cœur joie en y voyant un complot des protestants, des juifs et des francs-maçons afin de mettre à mal les traditions catholiques. Et des messages contre-révolutionnaires sont même passés à travers certains journaux comme la Croix et le Pèlerin. La République française décide de contre-attaquer à travers Pierre Waldeck-Rousseau. Il fit voter une loi qui impose aux congrégations religieuses une autorisation pour continuer à exister. Puis, c’est Émile Combes qui acta la fameuse séparation entre l’Église et l’État avec la loi du 9 décembre 1905. Si le texte assure « une liberté de conscience et de culte », aucune subvention cultuelle ne peut être accordée.

120 ans plus tard, la laïcité reste bien implantée dans la population. Selon un sondage IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès publié le 9 décembre (enquête menée en ligne du 9 au 10 octobre auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus), elle reste soutenue par deux tiers des Français, un chiffre stable depuis plusieurs années. Toutefois, chez les jeunes de 18 à 24 ans, la satisfaction tombe à 58 % alors qu’en 1989, ce taux était de 71 %. Comble de l’ironie, alors qu’elle est censée mettre tout le monde sur un pied d’égalité, 38 % des sondés voient dans la laïcité « une source de discriminations ». De plus, à cause de certains personnages politiques ou de journalistes, 52 % estime que « sa défense est instrumentalisée afin de dénigrer les musulmans ». Chez les jeunes, ce taux augmente de 7 points.

Le jeu « Nous sommes la France » interroge les jeunes sur l’histoire de la République.

Cependant, il serait réducteur de croire que les attaques envers la laïcité dateraient seulement de 2025. La première grosse affaire éclate en octobre 1989. Trois élèves sont exclues d’un collège de Creil (Oise) pour avoir gardé leur foulard islamique en classe. D’autres événements du même type conduisent 15 ans plus tard à l’adoption de la loi du 15 mars 2004 interdisant tout signe religieux ostentatoire. Par ailleurs, il n’y a pas que les élèves qui peuvent dépasser le cadre instauré par la législation. En juillet dernier, l’établissement privé parisien Stanislas a reçu une mise en demeure de l’académie de Paris sur ses cours de culture chrétienne.

Comment donc redonner le goût à une valeur plus que séculaire mais dont plus personne ne peut témoigner de son arrivée et son impact ? À Chanteloup-les-Vignes, on a fait le pari d’un jeu de plateau. « Depuis 3 ans, dans le cadre de la cité éducative, on a décidé que les valeurs de la République et la laïcité seraient centrales », explique Lydia Hugues, déléguée auprès du Préfet dans la commune yvelinoise. Youssef, responsable du la Maison municipale des jeunes « L’Envol », a été missionné pour le construire. Les classes de 4ème des deux collèges (René Cassin et Magellan) se sont donc mises au travail avec leurs professeurs d’histoire-géographie. « Nous sommes la France » est ainsi né en 2024. Fort de son succès, « dans le catalogue pédagogique de la communauté urbaine, c’est le jeu le plus réservé » révèle la déléguée du Préfet, une version junior a également vu le jour.

Concrètement, comment cela se passe ? Nous avons suivi Youssef le 9 décembre à l’école Verlaine où il intervenait auprès d’une classe de CM1. Tout d’abord, les huit enfants – 4 garçons, 4 filles – essaient de mettre en place la carte de l’Hexagone. Puis, deux minutes plus tard environ, l’éducateur pose la question fatidique : « C’est quoi la laïcité ? » Les jeunes se concertent, s’aident pour arriver à la bonne définition : « c’est accepter toutes les religions », seulement, il y a des lieux où nous devons le garder pour nous. D’autres questions candides arrivent comme « à quel âge qu’on peut choisir sa religion ? » demande une élève. « En France, on a le choix de croire ou de ne pas croire en tout ce qu’on veut » indique l’éducateur. Pour créer l’effervescence, des charades, des questions générales, des mimes sont au programme. Tout est fait pour que cela soit ludique et après une heure, tous sont ­unanimes : « On a adoré jouer ! »

Depuis 3 ans, Chanteloup-les-Vignes célèbre les valeurs de la République et la laïcité.

« Il faut que les jeunes soient acteurs et les mettre en position active. On réfléchit sur le niveau collège pour former les jeunes à animer le jeu. On en a discuté avec la principale du collège Cassin » indique Lydia Hugues. Par ailleurs, elle recherche des financements (33 000 euros) afin d’éditer 500 exemplaires et toucher beaucoup plus de monde. Le jeu permet d’engager des discussions et des débats sans qu’ils ne s’enflamment tout de suite. D’après la déléguée du Préfet, ce qui n’est pas compris à travers la laïcité, c’est la loi sur les signes ostensibles pour les élèves. « Je le vois en formation avec les adultes, on discute beaucoup de ses sujets là, analyse-t-elle. Si on évoque seulement les interdictions, c’est limité. Il faut parler des libertés qu’elle apporte. » Depuis, la fonctionnaire constate l’évolution avec les parents et les enfants et comment elle a réussi à déconstruire les idées reçues et la loi de 2004. « Comment elle est arrivée avec les événements de Creil, le fait qu’elle sert à protéger les enfants de discriminations. Cela ne signifie pas que nous ne sommes libres pas de pratiquer sa religion en France, juste elle n’a pas sa place dans les écoles. »

Il n’y a pas que mercredi dernier que les enfants ont été mis à contribution. Toute la semaine, les collégiens ont construit tout un spectacle autour des valeurs de la République et de la laïcité pour la cérémonie qui se déroulait le 12 décembre au Phénix. Une heure durant, les enfants ont ainsi animé des petites pièces de théâtre, notamment une version revisitée du petit Prince de Saint-Exupéry. Ils n’ont également pas eu peur des fausses notes en entonnant Ma France de Jean Ferrat ou en expliquant qu’ils allaient « recouvrir les murs des écoles avec les affiches « école publique et laïque » ».

À l’issue du show, l’émotion était palpable. Le public du Phénix – complet pour l’occasion – applaudissait et le député de la 7ème circonscription Aurélien Rousseau et le Préfet des Yvelines, Frédéric Rose ne cachaient pas leur fierté d’avoir assisté à une telle performance. « Nos petits sont de vrais hussards de la République » ­s’enthousiasme Catherine ­Arenou.