
Pas moins de 2 400 maires ont démissionné depuis les dernières élections municipales de 2020, selon le Ministère de l’Aménagement des territoires. Un chiffre historique qui n’a jamais été observé auparavant, avec notamment 613 départs en 2023, soit presque deux démissions de maire par jour à ce moment-là. Cette hécatombe alimente les débats depuis de nombreux mois autour du statut de l’élu local, les intéressés allant même jusqu’à évoquer le terme de crise de vocation.
« En 2020, il y avait déjà un bon renouvellement des équipes municipales, et je pense qu’effectivement, en plus avec l’incident Covid au départ, les gens ne se sont pas rendus compte de l’ampleur de la tâche ». En tant que maire de Rochefort-en-Yvelines et, surtout, en tant que président de l’Association des maires ruraux des Yvelines, Sylvain Lambert a vu passer de nombreux élus découragés par l’implication que demande un tel rôle, que cela soit en termes de charge de travail, ou même de charge mentale.
Car lorsqu’on est un élu local, à « portée de baffes », on s’expose inévitablement à toutes formes de menaces, voire même de violences. « Il y a une chose que je dis souvent aux nouveaux élus qui prennent de plein fouet les remarques de leurs administrés : si tu veux tenir, il faut que tu comprennes que quand cette personne-là s’adresse à toi, elle s’adresse à ta fonction. Il ne faut pas le prendre personnellement, insiste-t-il. Si vous n’en êtes pas capable, si vous n’avez pas ça dans vos gènes, vous allez souffrir ».
Violences verbales et physiques, rôle de plus en plus technique, cohabitation avec la vie professionnelle erratique… En réponse à ces inquiétudes qui grandissent alors que le prochain scrutin municipal approche à grand pas, la ministre chargée de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation de France, Françoise Gatel, a porté une proposition de loi visant la création d’un « statut de l’élu local », lorsqu’elle était encore sénatrice en janvier 2024. Après deux lectures par chaque chambre et de nombreux soubresauts, le texte a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 8 décembre dernier à l’unanimité (moins de 22 abstentions).
« Ce texte ne crée aucun privilège, assurait la ministre au moment de soumettre la loi au vote des députés. Les élus locaux ne seront jamais au-dessus des lois, et se doivent d’être exemplaires dans leur engagement. Mais il garantit le droit fondamental pour chaque citoyen, quels que soient leurs ressources, leur âge, leur statut, de pouvoir s’engager dans la vie locale. Permettre à chacun d’être élu : telle est la promesse républicaine et l’honneur de notre démocratie ».
Tout ça, c’est bien beau. Mais que contient exactement ce texte, qui avait été érigé comme une priorité par le Premier Ministre Sébastien Lecornu, lors de son discours de politique générale ? D’abord, la revalorisation du montant maximal des indemnités de fonction des maires et de leurs adjoints dans les communes de moins de 20 000 habitants, ainsi que l’élargissement du remboursement de certains frais spécifiques, comme les frais de transport ou de représentation, par la collectivité afin de « compenser des dépenses résultant de l’exercice du mandat ».
Pour permettre une « meilleure conciliation entre vie professionnelle et mandat électif », le texte prévoit l’instauration d’un statut de l’élu étudiant avec des aménagements spécifiques dans l’organisation et le déroulement de la scolarité, la création d’un label « Employeur partenaire de la démocratie locale » valorisant l’engagement des entreprises employant des élus locaux, ou encore un recours « facilité et étendu » aux autorisations d’absence. La vie privée n’est pas en reste : le recours à la visioconférence sera élargi pour les réunions, tout comme la prise en charge des frais de garde d’enfant ou d’assistance aux personnes âgées ou en situation de handicap. Les conditions permettant aux élus locaux de poursuivre l’exercice de leur mandat durant leur congé maladie ou leur congé maternité seront également assouplies, avec le cumul des indemnités journalières et des indemnités de fonction.
Quant au sujet brûlant de la sécurité des élus, la loi sur le statut de l’élu local prévoit l’octroi automatique de la protection fonctionnelle pour l’ensemble des élus locaux victimes de violences, de menaces ou d’outrages. « Je rêve d’un jour où les Français respecteront autant leurs élus qu’ils respectent les sapeurs-pompiers volontaires », a lancé Françoise Gatel, après le vote de son texte.
Le député Renaissance de la 12ème circonscription des Yvelines, Karl Olive, s’est lui aussi félicité de l’adoption de cette loi après avoir lui-même voté, et surtout milité en sa faveur depuis de nombreux mois. « C’est une victoire historique et transpartisane pour nos maires et élus de proximité, s’est-il enthousiasmé. Nous répondons enfin à la crise des vocations et au découragement de ceux qui font vivre notre démocratie locale et qui constituent des piliers de la République […]. Cette loi sera en vigueur avant les élections municipales de 2026 pour donner un nouvel élan à l’engagement citoyen ».
Un nouvel élan ? Rien que ça ? S’il estime bien « qu’il y a des avancées » et « qu’il ne faut pas cracher dessus », Sylvain Lambert se veut plus mesuré. « Je ne suis pas sûr que c’est ça qui, à trois mois des élections, va créer de la motivation pour y aller, surtout que les décrets ne sont pas encore mis en œuvre, admet-il. Je suis un peu réservé là-dessus. Par contre, que ça sécurise le parcours de ceux qui seront élus, oui. C’est vrai que des efforts ont été faits pour avoir une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie communale ».
Des efforts. C’est bien ce qu’espérait Yvon Rosconval en faveur des élus minoritaires. Conseiller municipal d’opposition à Triel-sur-Seine et président du Collectif des Élus minoritaires du 78, il émet un avis plus critique envers les orientations du texte. « Oui, ça va améliorer la situation des élus avec une délégation. Mais pour ceux qui n’en ont pas, que ça soit dans la majorité ou dans la minorité, ça ne va rien apporter de nouveau, si ce n’est l’accès à la sécurité fonctionnelle. Sincèrement, je ne pense pas que cette loi va avoir un impact sur l’engagement des citoyens. Le fait de toucher 100 euros de plus par mois ou d’être accompagné en fin de mandat au moment de réintégrer votre entreprise, ça ne va pas susciter un engouement ». En effet, le texte accompagne également la transition vers la vie professionnelle ou vers la retraite en fin de mandat. La loi étend et allonge à deux ans l’allocation différentielle de fin de mandat, propose un contrat de sécurisation de l’engagement destiné à accompagner le retour à l’emploi, et crée un certificat de compétences professionnelles pour valoriser l’expérience acquise pendant le mandat. Quant au régime de retraite des élus, il est amélioré par une bonification d’un trimestre par mandat complet.
En contact avec de nombreux élus d’opposition de toute la France ces derniers mois, Yvon Rosconval a pu constater des difficultés à boucler des listes en vue des prochaines élections. « Le taux de démission est 2,5 fois plus élevé dans l’opposition que dans la majorité, avance-t-il. On passe beaucoup de temps à préparer les conseils municipaux, car nous n’avons pas les services pour nous accompagner dans les démarches, donc on passe plus de temps à faire le job. Et ce temps, c’est du bénévolat ».
Pas de quoi céder à l’enthousiasme, donc, pour l’élu d’opposition qui milite depuis de nombreux mois désormais pour réformer la démocratie locale. « On voit bien l’objectif de cette loi, avec l’effet d’annonce lors du congrès des maires. Par rapport à ce qu’il s’est passé ces 8 dernières années, les relations ne sont pas faciles entre le chef de l’État et les maires. C’était peut-être l’occasion d’apaiser un peu les choses. Mais pour moi, ça reste une loi cosmétique qui ne changera rien à la crise démocratique, y compris à l’échelle locale. C’est dommage de ne pas mettre plus d’énergie pour l’état de la démocratie dans les communes. Plutôt que légiférer, il faut prendre le temps de faire un vrai diagnostic pour prendre des décisions ».
Que l’on approuve ou non le fond du texte, reste la question de l’application de la loi avant la prochaine échéance municipale. Il reste donc, maintenant, à élaborer et publier en trois mois la quinzaine de décrets d’application prévus par le texte. Le compte à rebours a débuté.