« On doit remplacer les remplaçants » : les structures du médico-social n’arrivent plus à recruter

Les établissements du secteur médico-social font face à une importante crise de recrutement et d’attractivité. Une pénurie de bras nationale qui fragilise également le fonctionnement des structures implantées en vallée de Seine.

C’est tout un secteur qui tire la sonnette d’alarme. En France, les professionnels du médico-social se font de plus en rares, si bien que, dans les établissements d’accueil, les postes vacants peinent à trouver leurs candidats. Faute de pouvoir proposer des salaires attractifs, les structures installées en vallée de Seine doivent faire face à des vagues de départs et s’accommoder d’une transformation du marché du travail. « À bout de souffle », les professionnels délaissent les contrats longues durées au profit des missions ponctuelles majorées de primes. Alors que les listes d’attente pour intégrer ces services, elles, ne désemplissent pas, cette nouvelle dynamique complexifie encore davantage la prise en charge des personnes vulnérables, handicapées, dépendantes ou en situation d’exclusion.

Au mois de mars, plusieurs associations médico-sociales yvelinoises, réunies sous le collectif « Handi social 78 », ont alerté sur ces difficultés de recrutement. « De nombreux postes vacants (médecins, éducateurs, infirmiers, animateurs…), pourtant indispensables, peuvent prendre plusieurs mois voire plus d’une année pour trouver le bon professionnel », s’inquiète dans un communiqué de presse, le collectif regroupant neuf associations dont Délos Apei 78 et Handi Val de Seine. Alors que certaines écoles n’ont même plus assez d’élèves pour remplir leurs promotions, salariés comme employeurs appellent tous à une revalorisation des métiers du ­secteur.

Extrêmement contraint par sa convention collective et par le financement accordé par l’État, le secteur du médico-social était déjà souffrant avant la crise sanitaire. Cette dernière est venue appuyer sur les plaies. Sylvain Bellier, le président de l’association Délos Apei 78 qui accueille 1 150 personnes en état de handicap mental dans ses 17 établissements répartis entre le Mantois et Versailles, insiste notamment sur les conséquences des arbitrages du Ségur de la Santé. En juillet 2020, la consultation des acteurs de la santé avait abouti à une augmentation de 183 euros nets par mois pour le personnel soignant. Ceux du médico-social, eux, ne peuvent pas y prétendre.

« Ça introduit instantanément du point de vue du salarié une différence de traitement qui n’était pas explicable, du point de vue de l’employeur que je suis, déplore Sylvain Bellier. Typiquement, on a un hôpital de jour qui relève du domaine de la santé, du jour au lendemain, on avait une vingtaine de personnes qui ont été augmentées alors que les autres qui faisaient exactement le même métier, de l’autre côté de la rue dans la même association, ne l’étaient pas. » Et pourtant les établissements d’hébergements de l’association, comme le foyer de vie Pierre Delomez situé à Breuil-Bois-Robert n’a pas fermé une seule minute durant la pandémie.

Au début du mois de février, La Gazette avait eu l’occasion d’échanger avec le personnel de l’Esat l’Envol, ateliers d’insertions pour les travailleurs handicapés de l’association Délos Apei 78, à l’occasion d’un mouvement de débrayage devant le site mantevillois. Ces derniers estiment effectivement être « les oubliés du Ségur » et déplorent des salaires qui stagnent. « Il y a un turn-over énorme, témoigne une représentante du personnel. Quand on a besoin de remplacement pour nos moniteurs d’ateliers on ne trouve personne parce que ce n’est pas assez reconnu. »

Faute de revalorisation des salaires, de plus en plus de professionnels du médico-social désertent les postes en CDI pour se tourner vers l’intérim plus avantageux grâce aux primes de fin de mission. Sur le foyer d’hébergement de Délos de Mantes-la-Jolie la moitié de l’équipe est ­composée de vacataires.

Et cela n’est pas forcément idéal pour l’accompagnement des résidents comme le souligne Myriamme Françoise, la directrice du foyer de vie Pierre Delomez : « Aujourd’hui la majorité du temps, on se retrouve à devoir remplacer des remplaçants […]. Même si tout le monde est investi et se remonte les manches […], ça ne permet pas d’investir pleinement la mission éducative et il y a un impact forcément sur la qualité de l’accompagnement et le parcours global de la personne. »

Ouvert aux premiers patients en octobre 2021, le FAM de Becheville est bien loin des objectifs puisqu’il n’accueille aujourd’hui que 29 usagers sur les 116 places disponibles.

« Pour eux, c’est aussi la liberté de choisir leur emploi du temps donc ils retrouvent une certaine marge de manœuvre, une certaine liberté, sans être contraint par une organisation institutionnelle, analyse Françoise Allouche, directrice des ressources humaines de l’association. Et puis comme ils savent qu’on est en difficulté de recrutement, ils sont en position de force, c’est la règle du jeu, mais c’est devenu extrêmement compliqué parce que les CDI, on ne les trouve plus. »

Les délais nécessaires pour pourvoir un poste ont doublé voir triplé pour certains établissements. Le foyer d’accueil médicalisé (FAM) interdépartemental Patrick Devedjian situé sur le site hospitalier de Bécheville, en est un exemple criant. Entre les infirmiers, éducateurs spécialisés, moniteur-éducateurs, aide-soignants de jour, aide médico-psychologique (AMP), 93 postes sont aujourd’hui à pourvoir au sein du foyer pour autistes.

Des carences qui ne sont pas sans conséquences sur son fonctionnement. Ouvert aux premiers patients en octobre 2021, le FAM cofinancé par les Départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine est bien loin des objectifs puisqu’il n’accueille aujourd’hui que 29 usagers sur les 116 places disponibles.

« Aujourd’hui nous n’avons pas suffisamment de personnel pour ouvrir toutes nos unités et accueillir le nombre de personnes qu’on devrait », précise Ketty Agne Félicité, responsable du pôle de développement des ressources humaines de la Fondation des Amis de l’atelier, qui gère la structure. Pour exemple, à ce jour, seules deux unités dédiées aux troubles du spectre autistique ont été ouvertes contre les onze dimensionnées.

« La montée en charge initiale prévoyait que l’ensemble des unités soient ouvertes en juillet 2022. En raison de nos difficultés de ­recrutement, la montée en charge a été décalée jusqu’en 2024 en accord avec les autorités de tutelles et financeurs », indique la Fondation des Amis de l’atelier. Une situation qui laisse malheureusement de nombreuses familles sans solutions, le manque d’offre de ce type étant la raison d’être du Fam de Bechèville. Contacté sur le sujet, le Département des Yvelines n’a pas souhaité s’exprimer dans l’immédiat quant aux problématiques rencontrées par l’établissement, mais, selon nos informations, une réflexion est menée en interne afin de porter des solutions concrètes.

De son côté, le collectif « Handi social 78 » réclame « des actes forts » de la part de l’Etat. À commencer par la concrétisation des accords dits « Laforcade », qui correspondent à la transposition du Ségur, pour le personnel soignant exerçant dans les établissements ou services du champ du handicap. Mais si les employeurs du médico-social espèrent que cette revalorisation permettra de résorber les carences en CDI, les crédits se font toujours attendre. « Ça avait été signé au mois de mai l’année dernière, aujourd’hui nous n’avons pas encore les aspects positifs, déplore Françoise Allouche. On nous dit maintenant qu’on l’aurait pour juin-juillet, on est impatients que cette promesse soit tenue. »