L’année scolaire 2023 commence à peine que le lycée Jean Rostand de Mantes-la-Jolie fait déjà parler de lui, malheureusement de manière négative. Dès septembre, des agressions verbales ont lieu envers des professeurs et plusieurs tirs de mortiers d’artifice fusent dans le hall de l’école. Rebelotte en octobre où cette fois-ci c’est la proviseure adjointe qui est prise pour cible. L’escalade de la violence se poursuit puisqu’une professeure d’histoire-géographie a dû porter plainte après avoir vu son domicile dans le Val-d’Oise être recouvert de tags – avec des inscriptions de menaces de mort envers elle et son fils – pendant la période des fêtes.
La peur gagne même quelques-uns de ses confrères. « Après cette histoire, j’ai tapé mon nom sur Google, et je suis tombé sur mon adresse et mon numéro personnels » s’inquiète un enseignant de manière anonyme. « C’est l’année la plus dure, soupire Nicolas Deschamps, professeur d’arts appliqués, une minorité d’élèves est animée par une véritable volonté de nuire et ils sont difficiles à identifier. » Une professeure d’anglais ajoute : « Les événements de cet hiver, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase car le ras-le-bol est général. »
En effet, le personnel du lycée Jean Rostand réfléchissait déjà à se mettre en grève courant décembre, ne sachant plus comment s’en sortir devant la remise en cause constante de leur autorité. « Il y a toujours des personnes qui tapent dans les portes, qui cassent des choses, qui hurlent, nous sommes obligés de sortir de nos classes pour intervenir » s’exaspère la professeure de langue.
Une fatigue physique et psychologique qui gagne l’intégralité des effectifs, avec l’impression en plus de ne pas être beaucoup soutenu par leur institution. « Le directeur académique adjoint des services de l’éducation nationale est passé, il a fait le psy puis est reparti en ne pouvant rien proposer faute de budget » raconte Nicolas Deschamps. Seul conseil pour échapper à cette atmosphère lourde : se mettre en arrêt maladie s’ils sentent leur intégrité physique menacée, « des mots durs à avaler ». Toutefois l’équipe enseignante sait que leur cas n’est pas isolé.
Des problèmes à tous les étages
À l’instar de nombreux établissements scolaires, les locaux sont vétustes. Les salles de classe sont tellement peu insonorisées que le moindre haussement de ton se propage dans les autres pièces. Le wi-fi fonctionne sporadiquement. La Région a beau être alertée pour des besoins de travaux, l’inertie est telle que tout prend du temps. « Après 10 ans, ceux de la loge vont enfin commencer, détaille le professeur d’arts appliqués, mais parfois il y a des choses que je ne comprends pas. » Il remet en cause par exemple le changement de toutes les lampes par des led – bien qu’en étant sensible à l’enjeu écologique – ou l’implantation de dalles numériques pour remplacer des vidéos projecteurs encore fonctionnels. « J’aurais préféré qu’on isole les classes » regrette-t-il.
Un sentiment d’incompréhension règne et alors qu’ils sont, avec les élèves, les premiers concernés, ils ne sont jamais consultés sur leurs véritables besoins. Parmi d’autres idées appréciées, la mise en place d’un portique à l’entrée. En effet, pour que les lycéens puissent sortir, il faut attendre un horaire bien précis et s’ils le ratent, ils doivent attendre l’heure suivante : « Et là, soit ils discutent entre copains, soit ils font des bêtises par ennui. Ils sont presque adultes donc nous pouvons les responsabiliser. C’est un dispositif qui a fait ses preuves. » De son côté la mairie de Mantes-la-Jolie a mis en place un bureau d’information jeunesse, avec une permanence d’une journée par mois, afin de permettre aux jeunes de discuter de leurs problèmes. Une initiative saluée par le corps enseignant mais dont la périodicité est trop faible.
Le lycée Jean Rostand fait également face au manque de personnel. Les surveillants ne sont pas assez nombreux pour un bâtiment de cette taille mais surtout ne sont pas assez formés pour répondre aux problématiques spécifiques de l’établissement. Leur professionnalisation fait d’ailleurs partie des revendications des professeurs. Ainsi, ils pourraient exercer de manière pérenne et ne plus avoir la sensation d’être lâchés dans la nature. De plus, même les enseignants commencent à ne plus y croire. « Nous avons un turn-over de 30 % ces dernières années, les plus anciens cherchent aussi à partir, même quand ils sont proches de la retraite » souligne Nicolas Deschamps. Pour lutter contre ce turn-over et pérenniser les équipes, ils désireraient être plus régulièrement formés aux différentes problématiques émergentes – « idem pour les nouveaux qui sont plongés dans l’inconnu » – obtenir un meilleur salaire et une valorisation conséquente des points du mutation.
Une réforme faite à moitié
La dégradation du lycée Jean Rostand ne date pas d’hier et trouve son point de départ lors de la réforme du collège en 2015. Initiée par Najat Vallaud-Belkacem, la réforme de l’éducation prioritaire concernait uniquement les écoles et les collèges. Pour ces établissements le classement REP ou REP+ s’est substitué aux anciens classements. Mais la question des lycées a quant à elle été laissée en suspens. La ZEP (zone d’éducation prioritaire) a disparu petit à petit. Le ministère de l’Éducation a tout d’abord prolongé les mesures déjà existantes pour les établissements et les personnels pour 2 ans en 2014, avant d’en faire de même pour une nouvelle durée de 2 ans à l’automne 2016, idem en 2018. En 2022, Pap Ndiaye indiquait qu’une carte de l’éducation prioritaire serait établie pour la rentrée 2024.
Sauf que depuis, l’enseignant-chercheur a quitté son poste, et son successeur, Gabriel Attal, ne l’a pas évoqué lorsqu’il est resté moins de 200 jours rue de Grenelle. La ZEP n’existant plus, les primes et les avantages liés à ce statut ont subi le même sort. Par exemple, la mutation d’un CPE jugé excédentaire. « Nous en avions 4 au lieu de 3, explique Sébastien Jaumotte, professeur de mathématiques, et comme c’est lié au nombre d’élèves, l’Académie a fini par nous le retirer. Mais en fait s’il était présent, c’est parce que nous en avions besoin. »
« Dans 5 à 10 ans, ce sera une véritable catastrophe »
En cas de retour à une désignation équivalente, il y aurait donc une hausse de dotation horaire globale (DHG), c’est-à-dire l’enveloppe d’heures attribuée à chaque établissement scolaire du 2nd degré par la Direction académique des services de l’Education nationale, destinée à assurer l’ensemble des enseignements, obligatoires comme facultatifs sur la semaine. Ce qui permettrait de dédoubler les classes. « 80 % de nos élèves proviennent déjà de structures en REP ou REP+ avec des classes de 22, là ils passent à 30 » détaille la professeure d’anglais.
Seule éclaircie dans ce marasme : le soutien du proviseur, en fonction depuis 1 an et demi. « Nous n’avons rien à lui reprocher, reconnait l’ensemble des enseignants, jusqu’à maintenant il a pris de face les événements et il traite plus les choses inhérentes aux incidents que les affaires courantes du lycée malheureusement… »
Le député EELV de la 8ème circonscription, Benjamin Lucas, a exprimé sa solidarité via un communiqué alors qu’il aurait pu être présent le mardi s’il n’y avait pas eu les intempéries : « J’avais pu échanger longuement avec les enseignants et personnels de l’établissement le 12 mai et constater le mal-être et les obstacles nombreux rendant extrêmement difficile le plein accomplissement de leurs missions au service des élèves. J’avais interpellé le ministre et ses services. Force est de constater que les réponses sont restées lettres creuses et que la situation demeure inacceptable ». Le lendemain, c’est Ghislaine Senée, sénatrice EELV des Yvelines, qui a accompagné les grévistes.
« Nous ne pouvons pas dire qu’avec plus de budget, tout serait merveilleux, mais utilisé à bon escient, nous pourrions dédoubler les classes au maximum, embaucher une assistante sociale et deux infirmières à plein temps » théorise Nicolas Deschamps. Après une semaine de manifestation devant leur établissement, les professeurs espèrent que leurs doléances seront entendues, « sinon, dans 5 à 10 ans, ce sera une véritable catastrophe… »