Ghislaine Senée : « La LNPN amènera un vrai bénéfice »

La sénatrice EELV des Yvelines, Ghislaine Senée, a pris le milieu politique local à contre-pied en défendant la Ligne Nouvelle Paris-Normandie, qui vise à relier la capitale à Dieppe, Le Havre ou encore Caen et Cherbourg. Les élus de la Vallée de Seine ont, eux, affirmé de longue date leur opposition à un projet « aussi coûteux pour les finances publiques de la France que dévastateur pour le territoire » via une pétition et une motion d’opposition.

Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre position pour ce projet controversé sur le territoire ?
À l’époque où j’étais au STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France, ndlr.), j’avais essayé de réfléchir à comment on pouvait améliorer l’offre et la qualité de service sur la ligne J sur le territoire. Et l’un des enjeux était de dire qu’il faudrait quand même penser à une liaison normande, parce qu’on a un vrai conflit sur la branche Saint Lazare-Mantes via Les Mureaux, on a le fret et les trains normands sur les mêmes voies. Et à cela vont s’ajouter les trains Eole. Si on n’arrive pas à découpler les trains normands des trains franciliens, alors même qu’aujourd’hui on a une qualité d’offre qui n’est pas à la hauteur, on ne pourra jamais accroître l’offre, jamais, parce qu’il y a trop de dépendance. J’en discutais avec des élus normands : Eole, pour eux, c’est encore un rajout sur les lignes normandes.

Tant d’investissement pour 10 minutes de trajet en moins pour les Normands, est-ce bien ­raisonnable ?
Il faut arrêter de parler en minutes. Ce ne sont pas les minutes qui importent, c’est l’offre de transport, le report modal. Je vois ça d’un point de vue purement écologique. Tous les élus voient dans quel état est l’A13 dès le jeudi soir ! Et ça, ça a un impact sur le territoire. On le voit sur la qualité de l’air et sur les nuisances sonores, notamment à Chapet : nous sur Evecquemont, on n’a pas un bruit, à part un peu sur la départementale. Eux, ils ont un bruit incessant avec l’autoroute. On a eu beau faire l’A14 en disant que ça allait désaturer l’A13, autant vous dire qu’on a eu encore plus de bagnoles ensuite. Ce n’est pas une question de gagner du temps, c’est une question d’avoir une vraie offre de service pour la région Normandie, qui est la seule où il y a une interdépendance avec les trains franciliens. Il n’ont pas de ligne grande vitesse.

Quels seraient les avantages pour les habitants de la Vallée de Seine ?
Sur le groupe 5 via Les Mureaux, il va y avoir 3 RER E par heure, et il restera, en fonction des heures creuses et de pointes, 2 trains qui iront jusqu’à Vernon. Ces trains là, le jour où il y aura la LNPN, ils ne marqueront plus d’arrêts entre Épône et Saint-Lazare. Ce sera donc Mantes-Saint-Lazare en moins de 30 minutes. De toute façon, ça sert le territoire. Dire que la LNPN ne sert à rien, c’est vraiment ne rien comprendre au ferroviaire, ou vouloir faire croire que c’est trop de travaux ou ­d’artificialisation.

Entre Poissy, Orgeval et Villennes, on n’a que deux sillons. S’imaginer que là dessus, on peut faire passer Eole, les trains normands, le fret et la ligne vers Vernon, tout le monde voit bien que ce n’est pas possible. Surtout si on souhaite politiquement un report modal, et améliorer l’offre ferrée pour diminuer l’usage de la voiture, ce qui est un des objectifs du plan d’adaptation au réchauffement climatique. Le projet tel qu’il a été initié et qui est en concertation mérite effectivement des discussions et des négociations. Ça tombe bien, une concertation, ça sert à ça.

Comment expliquer, alors, une telle levée de boucliers ?
Très franchement, c’est une excellente question. Je pense qu’on est dans un temps politique où le courage politique n’est plus là. Il est important de défendre l’intérêt des franciliens et des gens du territoire. J’ai discuté avec des maires, notamment celui de Chapet qui a entièrement raison d’alerter sur l’impact que cela va avoir sur sa commune, et qui est parfaitement dans son rôle.

Ça tombe bien, c’est ça la concertation. Par contre, que des sénateurs qui sont élus nationalement, qui donc défendent l’intérêt de leur territoire mais aussi les objectifs que peut se poser la nation, notamment sur la lutte contre le réchauffement climatique, s’opposent au projet, là je trouve cela inquiétant. Et je pense qu’il faut être capable d’expliquer aux élus locaux que la Normandie a tout autant droit que les autres d’avoir une offre de service à la hauteur, et pourquoi ça nous ­amènerait nous aussi à des ­avantages.

Habitants comme élus regrettent le flou qui entoure le projet…
Comme tous les projets ! Il y avait eu une enquête publique en 2012-2013, et à ce stade il y a eu un choix de tracé. J’ai toujours dit que le plus simple était celui le long de l’autoroute : ça ne crée pas de coupure supplémentaire, et si ça grignotte un peu sur des terres agricoles, ce sont quand même des terres qui sont cultivées à côté de la bagnole, bon…

Justement, cette artificialisation des sols n’émeut pas l’écologiste que vous êtes ?
On parle de 200 hectares. Pour le pont d’Achères, c’est plus de 300 hectares. Personne n’a parlé des espaces naturels. Pour la bagnole, ça pose aucun souci, mais dès qu’on est sur de la mobilité décarbonée, là, ça pose un problème. C’est peut-être un des projets les moins impactants en terme de mobilité que défend le Département. Je pense que c’est un faux argument. Particulièrement si on longe l’A13. Après, il y a des enjeux stratégiques. On a aussi des nœuds, des points noirs très clairs, à Verneuil, Vernouillet et Chapet, sur lesquels il faut trouver des solutions. Est-ce que c’est là qu’il faut faire un petit enfouissement ? Je ne sais pas, c’est à ça que sert la concertation.

Ghislaine Senée fait partie de la commission des finances et de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Des maires locaux sont-ils favorables au projet ?
J’ai eu des maires, oui. J’en ai un qui m’a contacté immédiatement en me disant « ah, enfin une parole censée ». On est quand même dans un territoire où la parole a toujours été occultée. J’en ai pas pléthore, mais un certain nombre m’ont contactée, d’autres étaient inquiets quant à ma position en se disant que si je l’ouvre, c’est qu’il y a un loup. J’ai quand même cette réputation de toujours dire les choses sans faire de la politique politicienne. Il y en a qui se sont inquiétés, en se demandant s’ils avaient eu toutes les informations. Et puis globalement, et là je parle à mes collègues du groupe de gauche, à partir du moment ou la CGT Cheminots et la FNAUT (Fédération nationale des associations d’usagers des transports, ndlr.) disent que j’ai raison, je pense que tout le monde s’interroge à savoir si on a bien eu toutes les informations.

Vous parliez plus tôt de pollution sonore. La LNPN pourrait également être synonyme de nuisances…
Bien sûr. Particulièrement le fret, ce qui est une inquiétude des élus, et ils ont raison. Mais aujourd’hui il y a des solutions techniques. Il y a des systèmes qui permettent d’atténuer le bruit sur les rails, il y a ensuite les murs anti bruits… Des solutions certes coûteuses, mais qui le seraient moins qu’un enfouissement total comme proposé par l’Île de France qui enfouit complètement le projet, c’est le cas de le dire.

Avez-vous des rencontres prévues avec des acteurs du projet ?
J’ai rencontré le responsable du projet, je vais également rencontrer le grand patron de la SNCF avec Aurélien Rousseau. Eux disent, avec les Préfets, que la concertation ne reprendra pas avant la rentrée. J’ai d’ailleurs conseillé à SNCF Réseau d’aller voir les maires en tête à tête pour leur démontrer ce que ça peut apporter à leur commune, aux usagers, et quel impact ça aura. Parce que les grandes réunions publiques où ils ont un front face à eux…

Avez-vous un message à adresser aux habitants du territoire ?
Avant de signer la pétition, il faut qu’ils se renseignent ! La LNPN amènera un vrai bénéfice, même sur la rive droite via Conflans, en fréquence de trains et surtout en robustesse. Notre objectif, sur ce territoire, c’est de s’assurer sur le long terme, d’anticiper et d’être en capacité d’apporter une vraie offre. Il faut revoir la position, se remettre autour de la table. Il y a une vraie urgence à trouver des solutions de mobilité. L’objectif de la LNPN pour la Normandie, ce n’est pas seulement faire du pendulaire, c’est aussi de permettre aux Parisiens, le week-end, d’aller à Rouen, à Caen où au Havre. Il y a quand même un bénéfice pour tout le monde.