Accompagnement, sécurité… On en sait plus sur les villages pour mineurs isolés

Les élus du conseil départemental des Yvelines ont voté à l’unanimité, lors de la séance du vendredi 7 mars, pour la création de plusieurs villages d’accueil pour mineurs isolés étrangers au sein du département. Le premier verra le jour d’ici l’automne au niveau de l’ancien collège André Chénier à Mantes-la-Jolie, et accueillera 100 jeunes de moins de 18 ans dans des chalets modulaires avec des espaces pour les activités sportives culturelles ou d’apprentissage.

@AKA RENDER / IPH Ingénierie / Volume Architecte

C’est un sujet qui « fait couler pas mal d’encre… et de salive ». Pierre Bédier le sait bien : avec son projet de villages pour mineurs isolés étrangers, le Président du Département des Yvelines est sur un terrain glissant. Il n’y a qu’à voir la réaction des maires des communes concernées, à Mantes-la-Jolie et à Chapet, qui sont montés au créneau pour clamer leur indignation ces ­dernières semaines.

Mais avant d’aller plus loin, un peu de contexte. Début janvier, le conseil départemental a annoncé la construction prochaine de « villages » pour héberger les 1 081 mineurs isolés étrangers situés sur le territoire yvelinois, dont la prise en charge relève des Départements, selon la décision de l’État. Des mineurs qui, à ce jour, séjournent dans des établissements de la protection de l’enfance, mais aussi dans des hôtels.

Chacun de ces « villages » permettra de loger jusqu’à 100 jeunes de moins de 18 ans, dans des chalets modulables qui seront accompagnés d’espaces sportifs, culturels et paysagers sécurisés. En parlant d’accompagnement, justement, les mineurs isolés étrangers seront encadrés par des éducateurs spécialisés, des éducateurs scolaires et des conseillers insertion jeunes, sans parler des équipes de santé.

« Nous connaissons aujourd’hui, dans le Département des Yvelines, un contexte de tension inédite sur les dispositifs d’accueil », a déclaré Laurent Brosse, conseiller départemental du canton de Conflans-Sainte-Honorine, lors de l’assemblée départementale du vendredi 7 mars. En effet, depuis fin 2022, le nombre de mineurs isolés étrangers a augmenté de 50 % sur le territoire yvelinois, tandis que la loi Taquet du 7 février 2022 ne permet plus le placement de ces jeunes dans des hôtels. Problème : dans l’organisation actuelle de l’hébergement dans les Yvelines, 552 d’entre eux se trouvent dans des structures hôtelières. « Ainsi, vous l’avez compris, la proposition est d’aménager des lieux d’accueil plus adaptés », ajoute ­Laurent Brosse.

Mise en service avant la fin de l’année

Si la création de ces villages se fera en plusieurs temps, le premier d’entre eux sortira très vite de terre, du côté de Mantes-la-Jolie. C’est l’ancien collège André Chénier qui a été choisi pour accueillir 100 mineurs isolés étrangers, d’ici l’automne de cette année 2025, moyennant un investissement total de 4,3 millions d’euros. 22 pavillons de 4 places y seront érigés, avec des locaux communs au rez-de-chaussée du collège, ainsi que 6 chambres pour les personnes à mobilité réduite. Un accompagnement au quotidien sera assuré par une équipe socio-éducative pluridisciplinaire, tandis qu’une présence permanente sera assurée par un gardien et des veilleurs de nuit.

Le village de Mantes-la-Jolie accueillera ses premiers occupants dès cet été, avant une mise en service complète avant la fin de l’année. (@AKA RENDER / IPH Ingénierie / Volume Architecte)

Un projet qui est loin d’être du goût du maire mantais, Raphaël Cognet, qui s’est précipité sur le plateau de CNEWS suite à l’annonce du projet pour en dénoncer la méthode, mais aussi le fond. « Personne ne m’a écrit pour me demander mon avis, s’est-il indigné à l’antenne. C’est dans un quartier qui est l’un des plus pauvres de France et des Yvelines, qu’on va mettre des mineurs isolés ? » Sans parler de la comparaison douteuse évoquée lors du conseil municipal du 10 février, quand l’édile considérait que cela « reviendrait à le mettre au milieu de la colline du crack à la porte de la ­Chapelle ».

« C’est une population qui ne pose aucun problème »

« C’est du délit de sale gueule, et rien d’autre » lui a rétorqué Pierre Bédier lors de l’assemblée départementale, avant de rappeler la présence, depuis des années, de 88 mineurs non accompagnés à Mantes-la-Jolie. « Monsieur le Préfet a d’ailleurs interrogé, à ma demande, les services de sécurité pour savoir si les mineurs non accompagnés étaient concernés par des procédures judiciaires. Le chiffre est effrayant : zéro ! C’est une population qui ne pose aucun problème, et qui est victime, pas coupable ».

Une réponse à l’amalgame qui est fait depuis des semaines, et qui s’est même immiscé dans le débat national, laissant entendre qu’une armée de délinquants allait déferler dans les communes concernées. « Il y a deux types de mineurs non accompagnés, a précisé Geoffroy Bax de Keating, Vice-Président du Département en charge de la Protection de l’enfance. Il y a ceux que nous avons, et il y a les filières de délinquance et d’immigration qui existent réellement. Nous, on ne les voit pas dans nos institutions. Les jeunes mineurs non accompagnés délinquants ne restent pas avec les éducateurs, ils font partie d’une filière de délinquance, ils sont envoyés à Porte de la Chapelle ou faire des cambriolages. Nous, ceux qu’on a dans nos institutions, ce sont des jeunes qui ont envie de s’en sortir, de bosser, ou qui sont en apprentissage ».

D’ailleurs, les villages pour mineurs isolés se doteront d’une offre de services pour favoriser l’insertion socio-professionnelle, avec un diagnostic d’employabilité et l’élaboration de projet professionnel, ou encore la levée des freins à l’insertion professionnelle et la mise en relation avec des organismes de formation et des entreprises.

« Une décision inacceptable »

Une autre voix dissonante s’est faite entendre du côté de Chapet, quand Benoît de Laurens, maire de la commune, dénonçait dans nos colonnes « une décision inacceptable, imposée avec brutalité », et s’inquiétait de ne pas être « en capacité d’assimiler ces 100 jeunes », qui représentent « quasiment l’équivalent de 10 % de [sa] population ».

« Il y a une autre commune dans les Yvelines où cela représente presque 10 % de la population, a glissé en réponse, sans la nommer, le Président du Département lors de la délibération de vendredi. C’est une commune de 4 000 habitants dans laquelle il y a 300 mineurs non accompagnés, et personne n’en a jamais entendu parler ! Je peux vous garantir que ça me fait beaucoup rire quand on connaît la qualité reconnue de cette commune. Qu’on ne vienne pas créer des problèmes là où ils n’existent pas ».

Le projet n’a rencontré aucune opposition lors de l’assemblée départementale de vendredi dernier.

En plus des « raisons humanitaires et de sécurité », Pierre Bédier voit en ces villages une « solution moins onéreuse » que l’actuelle. En effet, les dépenses d’accueil et d’accompagnement des mineurs isolés étrangers ont été multipliées par 2,3 entre 2019 et 2024, tandis que l’État couvre seulement 5 jours de mise à l’abri. « Nous finançons des hôteliers pour des hôtels, dont je préfère ne pas utiliser de qualificatif, pour un coût annuel pour la place d’hébergement de 20 000 euros par an. Un des objectifs de ces villages est de baisser sensiblement le coût, c’est-à-dire d’au moins 30 % ».

Le projet n’a rencontré aucune opposition lors de la délibération, si ce n’est une question, légitime, de Joséphine Kollmannsberger, Vice-Présidente en charge de la culture et du tourisme, qui s’est demandée si d’autres départements franciliens avaient pris des décisions similaires. C’est le cas du Val-d’Oise, qui avait envisagé une prise en charge de cent mineurs isolés étrangers par l’opérateur Promotel dans la commune de Baillet-en-France… avant de revoir sa copie face à l’opposition féroce de la Mairie et des habitants. « Le Département de Seine-Saint-Denis essaye de créer un village, mais c’est compliqué pour eux, dans la mesure où c’est un département très urbanisé, a ajouté le Président du Département des Yvelines. De toute façon, tous les Départements vont être amenés à trouver des solutions. Nous sommes dans l’anticipation ». À l’arrivée, l’assemblée départementale a voté, à l’unanimité, pour la création de ces villages.