Calcia : retrait des autorisations de la carrière demandé

Lors du dernier conseil communautaire, les élus ont adopté une motion demandant à l’État de retirer les autorisations accordées au cimentier Calcia. À la cimenterie gargenvilloise, on s’inquiète du devenir du site, conditionné à cette nouvelle exploitation.

Il régnait une ambiance particulière ce jeudi 16 janvier en vallée de Seine et plus particulièrement dans la commune de Gargenville. La décision prise par le cimentier Calcia, propriété du groupe allemand HeidelbergCement, de transférer 250 emplois sur les 370 de son siège situé aux Technodes à Guerville (La Gazette indiquait 150 dans son édition précédente et présente ses excuses aux lecteurs et aux concernés, Ndlr), n’en finit pas de provoquer des remous dans le Mantois.

Le 11 janvier dernier, le président du Département et vice-président aux grands projets au sein de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, Pierre Bédier (LR) avait lancé un ultimatum au cimentier, pour le faire revenir sur sa décision, dans le cadre de la préservation de l’emploi en vallée de Seine. « Si retour il y a, on peut toujours discuter mais il y a une deadline, c’est jeudi à 16 h », avait-il alors indiqué (voir notre édition du 15 janvier).

Un horaire faisant référence au début du conseil communautaire où le vote du plan local d’urbanisme intercommunal était à l’ordre du jour. Sans réponse du cimentier, et avec l’accord du président de GPSEO Philippe Tautou (LR), la possibilité de faire retirer du document la zone d’exploitation de la future carrière de Brueil-en-Vexin, afin d’en empêcher l’exploitation, pourtant autorisée par l’État en juin dernier.

Une motion sur table a finalement été présentée aux élus communautaires, demandant à l’État « d’examiner toutes les possibilités de revenir sur les autorisations délivrées à l’entreprise Calcia tout en veillant particulièrement au respect des normes et contreparties environnementales ». Si l’État venait à revenir sur ces décisions, « les élus de la communauté urbaine prennent l’engagement de modifier sans délai le document d’urbanisme de la communauté urbaine ».

Le président du Département a également soumis la possibilité de demander « un moratoire sur toutes les carrières quelque que soit l’emprise sur le département » et envisage désormais d’engager «  un programme départemental pour favoriser toute forme de construction alternative au ciment ».

Après la colère des élus, ce sont les personnels de la cimenterie de Gargenville qui ont exprimé la leur et leurs interrogations. Ce 16 janvier, environ « 80, 85 % » d’entre eux était en grève, souligne Pascal Petit, représentant CGT au sein de la cimenterie. Car la cimenterie pourrait être une victime collatérale de cette potentielle non-exploitation, la carrière de Guitrancourt touchant à sa fin de vie, et du changement de position de Pierre Bédier, jusqu’alors soutien de poids de la future carrière. C’est en tout cas comme cela que l’interprétaient les grévistes peu avant le vote de la motion ce jeudi midi. Contacté, Calcia n’avait pas répondu à nos sollicitations avant le bouclage du 20 janvier (ses répnses ont été intégrées au fil de l’article, Ndlr).

« Nous ce qu’on veut c’est des réponses pour l’avenir de Gargenville, se désole Pascal Petit. On sait qu’en 2022, on a des impératifs environnementaux. Nous ce qu’on voudrait savoir de notre direction c’est savoir si elle va effectivement faire les investissements et si elle ne les fait pas, qu’est-ce qu’elle va faire du personnel. » Sur le piquet de grève, plusieurs d’entre eux confirment avoir entendu parler du déménagement des Technodes par la presse.

« Dans les discussions qu’on a pu avoir, quand il était question de l’emploi on pensait qu’il ne s’agissait que de la cimenterie et cela n’a jamais été démenti », soutient Dominique Pélegrin, la présidente, un peu soufflée.

« Quand on demande ce que l’on va devenir on nous donne rendez-vous dans un an, commente un gréviste entré à la cimenterie il y a cinq ans. Mais nous sommes dans une industrie où l’on prévoit des plans sur 30 ans par tranches de dix ans. S’ils nous font ces réponses-là, c’est qu’ils savent déjà ce qu’il va se passer. »

Jointe par téléphone, la direction française assure avoir « réassuré » au personnel son souhait de maintenir l’exploitation de l’usine gargenvilloise. « On fait tout ce qu’il faut pour maintenir l’usine de Gargenville et aller au bout du projet, indique-t-elle. […] On est à nouveau retourné les voir pour leur ne vous inquiétez pas, voilà ce qui va être fait. »

La volte-face du président du Département porte sur le fait que le cimentier n’aurait selon lui pas respecté le pacte portant sur le maintien de l’emploi global par le cimentier, soit environ 1 000 emplois en comptant ceux induits, en échange de l’exploitation de la nouvelle carrière. « J’ai toujours défendu la nécessité de donner l’exploitation des carrières à Ciments Calcia car Ciments Calcia représentait lorsque la demande a été formulée, 500 emplois et ses emplois induits, et qu’avoir un millier d’emplois menacés sur un territoire qui a connu des bérésinas industrielles, ça me paraissait déraisonnable », a rappelé de sa position Pierre Bédier au conseil communautaire.

L’existence de cet accord tacite a fait tomber des nues les militants de l’Association vexinoise de lutte contre la carrière cimentière (AVL3C), alors réunis sur le parking de la salle des fêtes gargenvilloise avant que ne débute le conseil communautaire. « Dans les discussions qu’on a pu avoir, quand il était question de l’emploi on pensait qu’il ne s’agissait que de la cimenterie et cela n’a jamais été démenti », soutient Dominique Pélegrin, la présidente, un peu soufflée.

Concernant les nuisances, la pollution dénoncée par l’AVL3C depuis plusieurs décennies, il assume : « J’étais bien conscient des nuisances qui étaient apportées dans les communes mais j’estimais davantage qu’en jugeant les avantages et les inconvénients, les avantages l’emportaient. »

Le cimentier maintient lui sa position, exprimée suite à la conférence de presse des élus yvelinois.  » On a toujours décorrelé le projet de l’usine de Gargenville, qui est sur le territoire depuis un siècle et celui du déménagement partiel du siège, ce sont deux choses totalement différentes », insiste la direction de Calcia.

« Les 120 personnes qui restent aux Technodes se disent et nous on compte pour du beurre et les salariés de l’usine sont associés à des nuisances, dépeint-elle de la situation décrite depuis plusieurs jours. C’est dur quand même. »

De quoi faire bondir Philippe Laborde, ancien élu juziérois opposé au cimentier et membre de l’AVL3C : « Ce qu’ils appellent des nuisances c’est des pollutions et des infractions à la législation. » Il fait ainsi référence aux rejets aériens émis par la cimenterie, régulièrement pointés du doigt par l’association sur sa page Facebook.

De quoi provoquer la colère des salariés et ex-salariés de la cimenterie venus en contre-manifestation sur le parking. « Quoi qu’on en dise les salariés de Calcia se battent pour l’environnement, vous êtes en train de casser l’emploi mais en même temps, le ciment va venir de Turquie et vous aurez double effet de CO2, ça va être une noria de camions », lance Pascal Gaumer, syndicaliste CGT au sein de l’Union locale de Mantes et ancien salarié de Calcia.

Quelques instants plus tôt Jean-Christophe Mantoy, militant de l’AVL3C réaffirmait pourtant la position suivante : « Qu’on soit bien clairs, on est pour la défense de l’emploi, on a de la sympathie pour les gens qui risquent de perdre leur emploi parce que Heidelberg se fout bien aussi bien de l’écologie, de l’environnement que des salariés. »

Le maire de Gargenville, Jean Lemaire (UDI), apparaît désormais bien isolé en tant que soutien indéfectible de la cimenterie, mise en service en 1921. « Cela représente une perte de 62 000 euros en termes de taxe foncière, détaille des conséquences d’une fermeture de la cimenterie l’édile. C’est surtout l’impact humain, sur les personnes qui travaillent à Calcia, il y en a à peu près une bonne moitié qui sont habitants de la commune. »

Adoptée à une large majorité, la motion constitue « un geste politique fort », selon Pierre Bédier (LR), président du Département et vice-président aux grands projets à la communauté urbaine.

Du devenir potentiel de la cimenterie, l’édile se montre sceptique : « On se retrouve avec une friche industrielle, on ne va pas savoir quoi en faire, on ne peut pas démonter une usine comme ça du jour au lendemain, il va fatalement se passer dix, 15 ans avant de la démonter, de savoir ce qu’on va faire sur le site. » Provocateur, Pierre Bédier a évoqué une possible reconversion du site, évoquant le développement de modes de construction alternatifs au ciment : « Pourquoi ne pas en faire une scierie ? » Pour Dominique Pélegrin, cette reconversion aurait du être travaillée « depuis longtemps. Il y a des trucs qui se préparent pour justement pas laisser tomber comme ça, comme cela s’est fait trop souvent. »

Egalement soutien du cimentier, Eric Roulot (PCF), maire de Limay, approuve sur le fond le sens de la motion. « Mon oui aux carrières était soumis à des conditions qui étaient rassemblées dans un pacte de confiance réciproque, analyse-t-il. Unilatéralement Calcia décide de rompre ce pacte. […] Je suis d’accord avec la pression qu’on souhaite mettre à tous les niveaux sur Calcia pour qu’ils reviennent en arrière. »

Cependant, il émet des réserves quant aux différentes déclarations prononcées de part et d’autre ces derniers jours. « Je ne pense pas que la crispation et l’invective vont permettre de se retrouver dans une situation convenable pour réengager les négociations », constate-t-il. Lui appelle à une discussion « tripartite » entre les élus, dirigeants de Calcia et représentants du personnel.

De l’autre côté de la Seine, la maire de Guerville Evelyne Placet (SE), s’inquiète elle aussi de l’avenir du site des Technodes et des conséquences. « Je n’ai pas du tout envie d’avoir un septième hameau », tranche-t-elle d’un possible aménagement urbain du site si les 120 emplois restants venaient à être délocalisés. Des conséquences, elle énumère : «  Il y a forcément un impact financier […]. J’ai pas mal d’enfants qui sont scolarisés par dérogation sur la commune, il y a aussi le fait qu’ils utilisent les services périscolaires, on risque une fermeture de classe. […] Et puis il y a d’autres impacts que l’on peut mesurer, simplement, on sait que les gens descendaient dans Mantes ou allaient au golf déjeuner tout bêtement. »

Si le débat a été animé sur le parking de la salle des fêtes, à l’intérieur, il avait plutôt des airs de bis repetita du 27 septembre 2018 où le modèle économique de la vallée de Seine avait été largement débattu, entre industrie et tertiaire. « La question de la réindustrialisation de la vallée de Seine se pose réellement et ce n’est pas un vain mot qu’il faut poser sur la table a analysé la présidente du groupe Citoyens pour un territoire solidaire et écologique (CTSE) et maire EELV d’Evecquemont Ghislaine Senée.

Comme en 2018, elle a plaidé pour un développement de l’emploi tertiaire : « Le développement économique, la sauvegarde de l’emploi sont fondamentaux mais plutôt continuer à vouloir absolument sauvegarder un existant et ne pas regarder aujourd’hui les enjeux pour ce territoire en matière économique, nous allons une fois encore dans l’impasse. »

Adoptée à une large majorité, la motion constitue « un geste politique fort », selon Pierre Bédier. Soulignant les prises de positions récentes contre le cimentier de la part de la communauté urbaine, de la Région, de Paris et désormais du Département, il analyse de la décision finale qui pourrait être rendue par l’État : « Si unanimement ces trois institutions et à une forte majorité, s’opposent à l’extension des carrières, je ne vois pas comment dans les antichambres des tribunaux et ministériels cela resterait sans réponse. »

Le maire de Brueil-en-Vexin, Bruno Caffin (SE), rappelle que le recours contre le Projet d’intérêt général doit être jugé en appel ce 23 janvier : « Rien n’est encore jugé aujourd’hui et nous pensons que les travaux ne commenceront pas tant que les recours ne seront pas purgés. […] En 2020 on ne peut pas conduire un projet d’un autre siècle en plein parc naturel pour faire tourner une usine polluante, défaillante. »

Mise à jour : Cette version de l’article contient les éléments de réponse de la direction française de Calcia, obtenus après l’envoi à l’impression de cet article.