Prise en charge des SDF : la Ville avance à tâtons

La municipalité a engagé, depuis plusieurs mois avec l’appui des associations sociales et de l’hôpital, un plan de prise en charge de ses SDF. Le sujet s’avère épineux sur plusieurs aspects.

Hébergement, alimentation, santé, sécurité, quand il s’agit de faire l’état des lieux de la situation des sans domicile fixe dans l’agglomération mantaise, les spectres sont nombreux. Et pourtant, en novembre dernier, la municipalité a exprimé son souhait d’y apporter « une réponse globale ». Associées à ce plan de prise en charge, notamment pour dresser un constat, les associations sociales du Mantois dépeignent « un besoin d’harmonisation » en particulier sur le volet de la distribution alimentaire. Du côté des sans-abris croisés par La Gazette, on déplore le manque de logements d’urgence.

Si elle envisage d’harmoniser les actions sur le terrain à l’aide d’un opérateur et imagine une prise en charge psychiatrique spécialisée, la Ville, entend d’abord « identifier les besoins » de cette population. Une tâche pas si évidente que cela, les premiers concernés étant plutôt mitigés.

« On est sur un sujet qui touche à la fois le volet social mais qui touche aussi le sentiment d’insécurité que peut avoir la population », explique Anne-Marie Benoit-Musset, conseillère municipale, missionnée par le maire, Raphaël Cognet (LR), de dresser un audit complet sur la situation des SDF dans la commune. Ce rapport a été rendu et présenté, vendredi 13 novembre, lors d’une réunion thématique du « conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance » en présence notamment du sous-préfet, Gérard Derouin, du commissaire mantais, mais aussi des associations et pôle de psychiatrie de l’Hôpital François-Quesnay.

« Jusqu’à présent, aucune municipalité ne s’était posé la question, assure Amadou Daff, adjoint délégué à l’urgence sociale et également missionné de la réalisation de l’audit. L’objectif était de présenter un diagnostic de la situation, coordonner l’ensemble des acteurs et envisager des solutions pérennes. » Mais au-delà de la question sociale, la tenue de cette réunion a également été motivée par le volet sécuritaire. En effet, la mairie est régulièrement interpellée lors de réunions publiques par des commerçants et des habitants qui rapportent un sentiment d’insécurité dans les rues du centre-ville mantais.

« Ceux qui posent souci, ce sont souvent de petits groupes de personnes, tient cependant à nuancer Philippe Langonné, le directeur de l’association Déclic, qui propose un accueil de jour aux personnes « en détresse locative ». Ceux-là sont dans des parcours de délinquance, de consommation de produits mais ils sont très minoritaires. Ce sont 15-20 personnes alors que nous on a 500 personnes différentes dans une année. » Situés rue de la Somme à Mantes-la-Jolie, les locaux de l’association font office de court répit pour les personnes en difficultés. Ici ils peuvent récupérer leur courrier, se laver, faire leur lessive ou tout simplement prendre un café au chaud.

« À Mantes ou ailleurs, on fait un peu tous le même constat, depuis 25 ans, le nombre de passages, de fréquentation des structures du réseau de la fondation Abbé Pierre (qui regroupe une trentaine de lieux d’accueil de jour en France, Ndlr) a été multiplié par trois, quatre », assure le président de Déclic.

« Ce qu’on sait, c’est qu’on tourne, à la louche, entre 30 et 45 personnes qui seraient sans-abris. Il y en avait un peu plus cet été, il y en a un peu moins cet hiver, indique Anne-Marie Benoit-Musset. Quand on discute avec les services de police eux ils identifient 25 personnes. » Si une campagne d’hébergement, menée cet été avec les hôtels sociaux, a visiblement permis d’abriter quelques personnes pendant un temps, le manque de place se fait ressentir sur le territoire.

À la rue depuis trois ans, Aziz*, est un exemple de cette détresse. « Même quand on appelle le 115, c’est très compliqué d’avoir une place pour la nuit », souffle-t-il dans les locaux de Déclic. Sur son téléphone portable, le trentenaire pointe du doigt la longue liste d’appels aux urgences qu’il a passés ces derniers jours, en vain. Cela dit, pour lui, l’avenir semble s’éclaircir puisqu’il vient d’apprendre qu’il sera prochainement logé dans un foyer Adoma aux Mureaux, grâce à son recrutement à l’usine Renault-Flins. Un changement radical de situation qu’il attribue à l’aide de l’association mantaise.

À Mantes-la-Jolie, on ne compte que très peu d’hébergements d’urgence. Le premier qui ne dispose que d’un seul lit, prévu pour les femmes, est géré par la Croix-Rouge. Le second, composé de deux chambres et quatre lits, se situe dans les locaux de l’association As Suffa au niveau de la mosquée Mantes Sud. Pour répondre à la demande pendant le confinement, l’association avait augmenté sa capacité d’hébergement en installant 15 lits de fortune temporaires. « On est quasiment toujours pleins, cet été il y a eu tellement de demandes qu’on a investi une salle de classe de l’école de culture et langue arabo-musulmane pour y installer des lits de camp », explique David Dos Santos, le ­responsable maraude de ­l’association.

Les personnes en difficulté peuvent également être dirigées, par les secours, à Buchelay vers le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou le centre d’hébergement d’urgence social (CHUS), « mais ceux-là accueillent des publics de tout le département », précise Anne-Marie Benoit-Musset. « Il n’y a pas de solution miracle, ajoute-t-elle. Déplacer les sans-abris d’un espace vers un autre ne règle rien. Il faut un système de prise en charge globale, humaine et une méthodologie rigoureuse pour obtenir des résultats. »

Pour la Ville, ce « système » pourrait s’articuler autour d’un opérateur qui aura pour mission de coordonner les actions des différents acteurs de terrain. « Il ne s’agit pas de faire un mille-feuille d’interventions et d’intervenants mais vraiment une harmonisation et une complémentarité des acteurs », enchaîne la conseillère municipale.

Et pour définir les actions futures, la Ville a rédigé un questionnaire de situation que les associations, comme Déclic, la Croix-Rouge ou Au cœur de la fraternité, distribueront à leurs bénéficiaires. « L’objectif ce n’est pas de faire du prêt-à-porter mais du sur-mesure pour chacun et chacune, car il y a aussi des femmes », insiste Anne-Marie Benoit-­Musset.

« Ce qu’on sait, c’est qu’on tourne, à la louche, entre 30 et 45 personnes qui seraient sans-abri. Il y en avait un peu plus cet été, il y en a un moins cet hiver », indique Anne-Marie Benoit-Musset, conseillère municipale.

En fin d’année, les premiers questionnaires, distribués lors de la maraude de la Croix-Rouge, avaient cela dit peu convaincu. « Ce questionnaire pointait le doigt sur le négatif, rapporte Véronique Le Ny, la responsable maraude. Pendant ce temps-là on travaille sur le lien social donc on évite de focaliser sur le fait qu’ils sont dans la rue et sur ce qu’ils n’ont pas. Si on leur demande directement depuis combien de temps ils sont là, s’ils touchent leurs allocations, ça coupe le lien qu’on essaye justement de tisser avec eux. »

Alors que dans le Mantois, le nombre de SDF n’a pas ­significativement ­augmenté sur les deux dernières années, du côté des associations on constate tout de même une forte augmentation de la demande d’aide alimentaire. « Il y a des populations locales qui se fragilisent au fur et à mesure des crises économiques, on risque d’ailleurs de retrouver pas mal ce genre de situations dans les mois à venir », craint Philippe Langonné.

Croisé dans le centre-ville, qu’il fréquente maintenant depuis de nombreuses années, Moussa* a lui aussi constaté ce phénomène. « Si on arrive un peu en retard il n’y a plus rien alors que maintenant il y a quand même six distributions par semaine, c’est assez confus », s’étonne-t-il, la tête recroquevillée dans son manteau. En effet, du lundi au samedi, cinq associations se relayent à la Collégiale pour assurer la ­distribution alimentaire de repas chauds.

« En novembre 2019 on avait cinq bénéficiaires le samedi soir, le week-end de Noël [2020] ils étaient une bonne centaine, rapporte David Dos Santos de l’As Suffa. Ça veut peut-être dire qu’il y a des personnes qui viennent chercher un repas et qui n’en n’ont pas forcement besoin, mais on ne sait pas les identifier. » Si du côté de Déclic et de la Croix-Rouge, on juge qu’il faut « harmoniser ce côté de la prise en charge », selon David Dos Santos, dont l’association n’a pas été conviée aux réunions avec la municipalité, le système de collecte est « déjà bien organisé, maintenant la porte est ouverte pour améliorer la chose ».

Et pour ceux qui enchaînent les nuits dehors, se posent également les problèmes de santé. « Les populations comme ça un peu fragiles, et vieillissantes qui plus est, la question de la santé ce n’est pas une priorité pour eux, ils ne s’intéressent à leur santé que lorsqu’ils ont vraiment très mal, mais parfois c’est un peu tard… », note ­Philippe Langonné.

Les mots du président de Déclic trouvent d’ailleurs une résonance lors d’une maraude de la Croix-Rouge dans le centre-ville. Ce soir-là, Sylvie et Michel, les deux bénévoles en service, retrouvent Fabienne*, de retour d’un séjour de plusieurs semaines à l’hôpital François Quesnay. Sous le porche de la devanture d’une parfumerie, elle retrouve peu à peu la forme mais aussi la rue et les températures d’hiver. « Je reviens de loin, je ne pouvais plus me lever, quand j’ai été prise en charge je me traînais par terre pour me déplacer », raconte-t-elle non sans émotions.

C’est pour cela que depuis deux ans, l’association a développé, avec l’Agence régionale de santé, « une coopérative d’acteurs » qui réunit les acteurs de santé du Mantois pour s’assurer à la fois de l’accès aux droits des personnes et les sensibiliser aux questions de santé. « C’est un outil d’accompagnement, […] on va avec eux jusque dans la salle d’attente, détaille le président de Déclic. Chez certains il y a souvent le déni et, ou, le refus de prise en charge, du coup l’idée c’est de les amener jusqu’au bout de la démarche ».

Des propositions transmises à la mairie, Véronique Le Ny retient l’idée « une structure mobile » dédiée aux bénéficiaires, « car certains ne veulent pas s’afficher aux urgences ». La municipalité envisage également la mise en place d’une prise en charge spécialisée en lien avec le pôle de psychiatrie de l’Hôpital François-Quesnay. « Une fois que nous aurons identifié les personnes concernées, il appartiendra à l’opérateur d’organiser l’accompagnement », explique Amadou Daff. Contacté au mois de novembre, le centre hospitalier indiquait que ce lien était évoqué à titre de « piste de réflexion ».

* Par soucis d’anonymat, les prénoms de certaines personnes ont été remplacés.