Envol(S), l’art de faire du lien

Depuis mars, les statues de Dédale et Icare ornent le parc du futur éco-quartier Rouget de l’Isle. Fruit d’un travail commun entre les détenus de la maison centrale de Poissy et des élèves du lycée Le Corbusier, elles doivent être le symbole d’une société inclusive. Leur inauguration officielle a eu lieu le 30 mai.

Quand Marie-Odile Foucras obtient un lot dans le futur éco-quartier Rouget de l’Isle à Poissy, en plus des bâtiments qu’elle et son équipe d’architectes doivent dessiner, elle désire ajouter une œuvre d’art. Mais pas n’importe laquelle. « Il fallait y croire quand j’ai déambulé dans plusieurs bureaux en annonçant que je voulais réaliser un projet avec la maison centrale » raconte la directrice d’agence d’architecture lors de l’inauguration officielle des sculptures de Dédale et Icare le 30 mai. Son principal souhait, accorder une deuxième chance au père et son fils – dont l’histoire tragique est narrée dans la mythologie grecque – afin qu’ils soient le symbole d’une union : « Je veux qu’Envol(s) devienne un pont entre la coupure de la prison et le retour à la vie en société. Ainsi ce quartier sera un sanctuaire n’oubliant personne. »

L’union a bel et bien été le maître-mot pour concevoir ces œuvres d’art. Durant deux ans, les étudiants en 3ème année des métiers d’art et du design du lycée Le Corbusier de Poissy et les détenus de la prison pisciacaise se sont concertés afin de les créer. Cependant, avant toute chose, il a fallu briser la glace. « Beaucoup se sont demandés pourquoi des jeunes s’intéressaient à eux » rappelle Mélanie Flament la directrice pénitentiaire d’insertion et probation au sein du SPIP 78. En revanche, aucun problème pour attirer des volontaires, sur les 8 requis, plus d’une dizaine avaient manifesté leur intérêt.

Le sens du détail

Toutefois, la logistique fut complexe. Pour communiquer, futurs artistes et prisonniers ont dû le faire par capsule vidéo interposée. « C’était frustrant » concède Jules, un des étudiants, « mais on ne s’attendait pas avoir de tels échanges » ajoute sa camarade Shana. Ensemble, ils ont ainsi esquissé une douzaine de maquettes avant que le sculpteur Emmanuel Michel ne tranche. L’inauguration a permis à tout ce petit monde de se retrouver et enfin discuter de vive voix. « C’était puissant et très ­émouvant » relate Shana.

Le corps de Dédale a été réalisé à la maison centrale tandis que celui d’Icare au lycée, puis ils ont été intervertis pour que chacun s’approprie les œuvres. Ainsi, en guise de signature, les participants ont gravé de multiples références sur les plumes de Dédale et Icare. Des dessins, des initiales, des prénoms comme Catherine, René et… Idiss. Marie-Odile Foucras avait demandé à Robert Badinter s’il pouvait glisser un petit mot. Après réflexion, l’homme qui a permis l’abolition de la peine de mort a donc apposé le patronyme de son aïeule, à laquelle il avait déjà dédié un livre.

Aucun chiffre n’a circulé pour la réalisation de ces deux sculptures, présentes grâce à de généreux donateurs. Si Marie-Odile Foucras a exprimé durant son discours toute la difficulté de trouver les financements, Emmanuel Michel n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : « J’aperçois certaines personnes qui ont poliment refusé mais qui ont bien l’air satisfait du résultat. » Après cette pique assassine, l’artiste n’a qu’une hâte : que des amoureux se bécotent à l’ombre de Dédale et Icare.

Dédale impuissant devant la chute de son fils qui voulait s’approcher trop près du soleil.05