Le doyen des ponts franciliens enjambe à nouveau la Seine

Le mercredi 19 novembre dernier, la passerelle a été apposée sur le Vieux Pont de Limay afin de permettre aux habitants de traverser la Seine à pied ou à vélo au début de l’année prochaine. La dernière étape d’un impressionnant chantier de restauration lancé il y a bientôt deux ans.

Il est un peu plus de 11 h, le mercredi 19 novembre, quand de nombreux curieux se massent sur le Pont neuf de Mantes et sur les quais. Malgré la pluie fine et le froid mordant, pas question pour eux de laisser leur place aux premières loges pour ce qui s’annonce être une opération spectaculaire : la dépose de la passerelle piétonne sur le Vieux Pont, acheminée par barge depuis le port de Limay.

C’est petit à petit, centimètre par centimètre, qu’une grue s’est chargée d’apposer ce beau bébé sur les piles de l’ouvrage entre Limay et l’Île aux Dames. « Au total elle fait 30 tonnes, avec 20 tonnes d’acier et 10 tonnes de bois », nous détaille Régis Pozza, responsable technique ouvrage d’art à l’EPAMSA, maître d’œuvre de ce vaste chantier lancé à l’été 2024, mais dont les premières esquisses remontent à… 2006.

La première étape consistait à redonner une seconde jeunesse aux vestiges du pont existant. Posé sur la Seine depuis le XIe siècle, le Vieux Pont de Limay n’est pas qu’un simple monument : c’est un véritable miraculé de l’Histoire, et le doyen absolu des ponts franciliens. Contemporain des premières croisades, ce géant de pierre a tout vu. Il fut une artère commerciale bourdonnante portant moulins et habitations, une frontière stratégique entre Rois de France et Ducs de Normandie… et même une muse pour le peintre Corot. Mais il est surtout un survivant. Amputé par les guerres, dynamité en 1940 pour empêcher la progression des Allemands et usé par les crues, il a perdu de sa superbe, passant de 37 arches à 11, mais sans jamais céder face au temps, là où tant d’autres ouvrages médiévaux ont fini par disparaître.

La structure en acier de la passerelle a été assemblée dans les Vosges puis a stationné au port autonome de Limay, avant de venir se jucher sur le Vieux Pont.

Pour s’attaquer à ce qui est aujourd’hui l’un des plus anciens ponts de France, la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, en partenariat avec le Syndicat Mixte Seine Ouest (SMSO), ont porté leur choix sur des architectes de renom : c’est le cabinet Alep qui est intervenu au titre d’architecte du patrimoine pour la restauration du Vieux Pont, inscrit au titre des Monuments Historiques depuis 1923. « Au moment où on les prend, ils sont vraiment très fragiles, plus rien ne se tient, raconte Philippe Allart, architecte du patrimoine chargé de travailler sur l’ouvrage. Il y a un diagnostic très pointu qui est fait pour essayer de faire ce qu’il faut. Chaque pierre que vous enlevez, c’est très délicat, on est très parcimonieux sur les travaux pour essayer de ne pas faire de choses inutiles, toujours dans le but de magnifier le monument ».

Parmi ces opérations délicates, difficile de ne pas mentionner les travaux subaquatiques : lors de l’été 2024, des plongeurs scaphandriers se sont affairés dans la Seine pour récupérer d’anciennes pierres, afin de les nettoyer et de les replacer une à une à leur emplacement initial. « On a essayé d’en récupérer certaines, ça a été compliqué, raconte celui qui a œuvré, notamment, sur la cathédrale de Vienne ou la basilique de Fourvière à Lyon. On en a récupéré moins que ce qu’on avait prévu, mais on en a rajouté aux soubassements des piles parce qu’elles avaient été attaquées par l’érosion, par l’eau, par des embâcles qui avaient cassé certaines parties… »

Un travail très compliqué de par la technicité de l’opération, mais aussi les conditions dans lesquelles il a été mené. « L’entreprise Romoeuf a fait ça pendant des périodes où il y avait toujours des problèmes avec l’eau, se souvient Philippe Allart. Soit elle était trop haute, soit elle avait trop de courant… Il a fallu s’adapter ».

S’adapter aux caprices de la nature… mais aussi aux découvertes impromptues. « Ce qu’on a eu comme surprise, c’était les travaux qui avaient eu lieu dans les années 1945 pour utiliser le pont une fois qu’il avait été cassé. Les seuls sondages qui avaient eu lieu avant ne donnaient pas un état général du pont. Et là, quand on a enlevé le tablier, ça a été la grosse découverte : on a des poutres en béton de partout au milieu. Alors, on ne les a pas touchées parce qu’on a considéré que, techniquement, ils stabilisaient les parties en pierre qui étaient fragiles. Donc, on les a bien gardées, on les a conservées et on a refait tout autour ».

La restauration du Vieux Pont et la réalisation de la passerelle représentent un investissement de 4,7 millions d’euros HT, financé à 47% par la Région, 23% par l’Etat, 16% par GPSEO, 10% par le Département, et 4% par SMSO.

Une fois les travaux de restauration terminés, le Vieux Pont a donc pu accueillir sa passerelle piétonne, elle aussi imaginée par le cabinet d’architectes Dietmar Feichtinger, déjà à l’œuvre sur celle du Pont neuf de Mantes-la-Jolie inaugurée en 2019. Sa conception discrète et moderne, en bois, en acier et en verre, s’intègre entre les deux parties de l’ancien pont. Mais bien qu’elle ait été déposée la semaine dernière, cela ne signifie pas la fin immédiate du chantier. « Il reste désormais à mettre le placage bois, l’éclairage, et faire le revêtement qui sera le même que celui sur le chemin du théâtre de Verdun, en stabilisé », énumère Régis Pozza.

Une fois les finitions terminées, dans le courant du premier trimestre 2026 si tout se passe comme prévu, « ce nouveau franchissement sera entièrement dédié aux mobilités douces (piétons, vélos, trottinettes…) afin de favoriser les déplacements éco-responsables et s’inscrire dans une dynamique d’aménagement et de valorisation des berges de la Seine, précise GPSEO. Cette passerelle permettra notamment aux habitants de la rive droite de rejoindre en modes doux la gare RER de Mantes-la-Jolie ».

Aujourd’hui, la pose de la nouvelle passerelle ne marque pas seulement la dernière étape d’un chantier particulièrement technique, mais aussi le réveil d’un géant endormi. En venant greffer une structure contemporaine sur cet ouvrage millénaire, la restauration panse les plaies du passé et redonne au pont sa vocation première. Ce n’est donc plus une ruine romantique que Limayens et Mantais vont contempler, mais un trait d’union rétabli qui prouve qu’à bientôt 1000 ans, le Vieux Pont a encore de l’avenir devant lui.