Auparavant dans le quartier du ValFourré, deux collèges se faisaient face : Paul Cézanne et André Chénier. Chacun de ces établissements scolaires accueillait 300 élèves alors qu’ils étaient dimensionnés pour le triple. Alors, sous l’impulsion de Pierre Bédier, un nouveau projet voit le jour : le Nouveau Collège. Le président du Département voyait les choses en grand. Il voulait ni plus ni moins que « l’on vienne de la France entière et même du monde pour le visiter. » L’excellence avait toutefois un prix : 31,9 millions d’euros TTC.
L’établissement devait justifier son appellation et amener avec lui de nouvelles formes de pédagogie. Des maisons référentes dignes de Harry Potter, des cours innovants et des élèves assez libres disposant d’espaces pour débattre et se détendre. Les professeurs étaient également convaincus par ce discours.
« J’avais discuté avec une principale adjointe, auparavant professeur documentaliste au collège Chénier, qui me conseillait d’y aller, explique une enseignante qui préfère garder l’anonymat. Idem du côté de Mehdi Bouhassoun, professeur de langues. Auparavant à André Chénier, il se faisait également une joie de venir : « Moi qui suis très axé sur le numérique (il est le référent numérique au sein du Nouveau Collège, Ndlr), j’étais impatient. » Le rêve devient réalité en septembre 2021 lors d’une inauguration en grande pompe.
Les promesses dans l’ombre
La magie ne s’éteint pas tout de suite. « La première année, cela fonctionnait correctement » se remémore la professeure anonyme. Seule ombre au tableau, des problèmes liés à la construction du bâtiment. Finalement, il s’avère trop petit pour accueillir les 600 élèves. Même pas le temps d’utiliser le « choixpeau » magique que les salles communes de chaque maison se transforment en salle de cours. « En plus de cela, il nous manquait une salle de permanence et la vie scolaire n’avait pas de local » ajoute l’enseignante. Au lieu de s’attarder sur la pédagogie innovante, la direction doit gérer les urgences comme l’attribution des endroits pour faire cours. Ces défaillances reviennent jusqu’aux oreilles de l’académie de Versailles. Tenu comme responsable, le principal est débarqué en décembre 2021 : « C’était brutal, il a annoncé cela au bord des larmes… »
En attendant la rentrée 2022, celui du collège de Gassicourt réalise l’intérim. La nouvelle direction arrive et amène avec elle un second souffle auprès de l’équipe enseignante. « Nous rédigeons enfin le projet d’établissement, un document officiel obligatoire qui permet de dresser les grandes lignes. » s’enthousiasmait alors la professeure. Malgré cela, en janvier 2023, tout part à vau-l’eau, avec en point d’orgue, le droit de retrait exercé juste avant les vacances de février.
Depuis le début de l’année scolaire, plus de 650 incidents ont été signalés, soit plus de 8 par jour. Parmi ces incidents, il y en a 150 pour « comportement inadapté en classe », 80 pour violence physique ou verbale et d’agression et 80 autres pour insolence envers des adultes. « Pour moi, nous n’avons pas su instaurer un cadre et comme les collégiens testent les limites, ces actes sont devenus de plus en plus réguliers » explique Mehdi Bouhassoun.
D’après les syndicats, ces chiffres seraient même en-dessous de la réalité. D’une part parce que seuls ceux assez graves sont référencés. De l’autre, car l’équipe dirigeante peut parfois se montrer intimidante. « Parfois quand j’ai voulu dénoncer un élève, on m’a retorqué que si cela se passe très mal, c’est que je ne savais pas gérer et qu’un inspecteur académique allait venir » raconte l’enseignante. Autre facteur aggravant, le temps de traitement des rapports disciplinaires. Par exemple, pour un incident qui s’était déroulé le 16 janvier, elle a enfin été convoquée le 6 février, même si elle tempère : « Nous sommes tellement noyés sous la masse que c’est compliqué de gérer. »
Une ambiance délétère
« Ce que je note surtout, c’est que le bâtiment tombe presque en miette » déplore le référent numérique du Nouveau Collège. Entre les pièces où il n’y a plus de poignée – « nous avons ouvert une salle avec des ciseaux comme des brigands » – les tags recouvrant les murs feu d’une blancheur immaculée et le matériel dérobé, plus rien ne rappelle les espoirs de septembre 2021.
Les agents de C’Midy, qui s’occupent de la cantine et du ménage dans l’établissement, n’en reviennent pas des immondices qu’ils doivent nettoyer. Ils tombent régulièrement sur des préservatifs usagés, des cigarettes fumées dans les toilettes ainsi que des excréments étalés partout par terre. Tout ceci a pour conséquence une surcharge de travail et un cumul de tâches qui ne leur sont pas attribuées et certains expriment un réel mal-être au travail, déplorant un manque de considération et une communication inexistante.
De plus, certaines familles inquiètes ont vite rejoint le mouvement de l’équipe enseignante. « Dans l’heure qui a suivi notre droit de retrait, les parents ont débarqué » se remémore Mehdi Bouhassoun. Ils sont même allés jusqu’aux portes du rectorat de Versailles le 8 février mais elles sont restées closes. Une des mamans commence à raconter son histoire : « Mon fils ne vient plus depuis le 30 janvier, car depuis la rentrée, il subit du harcèlement scolaire. » Même si elle a bien été reçue par la proviseure adjointe Marion Thébault, elle remet en cause le travail d’une des CPE : « La parole de mon fils a été prise en compte et le harcèlement avéré. Mais ce qui m’a embêté, c’est que la CPE disait que les enfants auteurs des faits allaient être reçus mais ils me répondent que non. » Depuis, cette maman lutte pour que son fils soit réaffecté dans un autre établissement mais le dossier reste en suspens. En attendant, il reste chez elle, à l’instar de beaucoup de ses camarades. « La semaine avant les vacances était dramatique, décrit le professeur de langue. Je faisais parfois cours pour un élève. »
Constat des professeurs VS constat du rectorat
Des projets innovants comme l’association sportive en anglais, les ateliers relais pour élèves décrocheurs ou la mini-entreprise, il ne reste rien. Et les enseignants craignent que cela empire, notamment avec la baisse de dotation horaire. « Nous serons juste capable d’assurer des demi-groupes en français ou en mathématiques comme le demande le plan « choc des savoirs », constate la professeure anonyme, alors qu’en biologie ils en ont aussi besoin. » De plus, le Nouveau Collège devrait perdre une CPE lors de la rentrée 2024/2025, n’en comptant plus que 2. Un courrier a été écrit par les organisations syndicales à l’attention du rectorat le 22 décembre qui a répondu le 8 février. Il rétorque qu’aux 104 heures de marge complémentaire d’autonomie comprenant le financement des groupes de niveau en français et en mathématiques pour les élèves de 6ème et de 5ème, 60 viennent s’ajouter permettant de financer les choix pédagogiques et spécifiques. Concernant la CPE, lors de la fusion des collèges Cézanne et Chénier, un moratoire de 3 ans avait été décidé avant la suppression dudit poste.
Le Département en prend aussi pour son grade. « Les nombreuses demandes de réfection et d’intervention qui tardent nous mettent dans une situation impossible » s’insurgent les organisations syndicales dans un dossier de presse transmis à la rédaction. La dotation de l’année 2023-2024 fait également grincer des dents. Alors qu’elle était de 80 000 euros lors de l’ouverture de l’établissement scolaire, elle est tombée à 10 000 euros actuellement. Pierre Bédier justifie cette baisse par les finances moins garnies de son organisation départementale. Si en 2021, il n’excluait pas un deuxième collège identique, le président du Département a viré de bord : « Je ne suis pas loin de regretter de l’avoir fait car l’éducation nationale n’est pas au rendez-vous. » L’ancien maire de Mantes-la-Jolie s’en prend directement aux syndicats, et juge leur positionnement « corporatiste » : « Ils mettent en péril le monde enseignant à long terme et le futur des enfants à court terme ».
Du côté des professeurs du Nouveau Collège, le moral est toujours en berne. « Nous avons l’impression qu’il ne s’est rien passé finalement » constate un Mehdi Bouhassoun amer, « tout ce que nous souhaitons, ce sont des moyens pour assurer l’égalité des chances pour chaque élève dans un quartier qui en a cruellement besoin. »