« On marche sur la tête ! » « C’est une aberration ! » Les nuages sombres et les fines gouttes de pluie n’ont pas eu raison de la colère magnanvilloise, samedi dernier. Le temps était maussade, mais qu’importe : rien ne pouvait perturber la manifestation contre le projet de prison porté par l’État. La première depuis l’annonce de sa localisation précise. C’est devant le lycée Sendar Senghor, à deux pas d’un quartier résidentiel et de l’immense champ qui doit accueillir la maison d’arrêt de 700 places, qu’habitants et élus se sont réunis pour montrer leur farouche opposition à sa construction.
Pour retrouver la source du conflit, il faut remonter à un conseil municipal magnanvillois datant de septembre 2021. Devant des élus estomaqués, le maire Michel Lebouc annonçait la nouvelle : le ministère de la Justice l’a contacté pour le prévenir de la construction, dans les prochaines années, d’un établissement pénitentiaire sur la commune.
La voie judiciaire comme seul recours ?
Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’un plan d’envergure nationale censé créer 15 000 places de prison supplémentaires, et ainsi réduire la surpopulation carcérale. Depuis cette annonce qui a suscité l’émoi chez les habitants, les élus locaux n’ont cessé de proposer des solutions alternatives à l’État, en vain. Deux hypothèses étaient alors en balance : celle d’un terrain au milieu des champs et à près d’un kilomètre des habitations, et un autre à tout juste 150 mètres des pavillons et du lycée Senghor, à la sortie de la commune.
C’est finalement celui-ci qui a été retenu, comme l’a confirmé la semaine dernière le préfet de la région Île-de-France Marc Guillaume, dans un courrier adressé à la présidente du conseil régional, Valérie Pécresse. Le premier site proposé a en effet été rejeté pour son incompatibilité avec le Schéma Directeur Environnemental 2040 (SDRIF-E) : il contrevenait en effet aux principes d’urbanisme de la Région en créant du « mitage agricole ».
De quoi provoquer l’ire des habitants, notamment du quartier qui, à horizon 2028, tutoiera la maison d’arrêt. « Choisir le site le plus proche des maisons, c’est un non-sens, un crachat au visage, s’emporte un riverain. Cela va effrayer de potentiels acheteurs, et faire fuir les habitants actuels ». Plus loin dans le cortège, une Magnanvilloise ironise sur l’argument de l’État au sujet du premier site écarté. « On nous sort la carte du terrain agricole, comme si la parcelle finalement choisie n’en était pas un ! »
Parmi les plusieurs centaines de manifestants, qui ont arpenté les rues entre deux prises de parole, se trouvait d’ailleurs le propriétaire du terrain en question. S’il n’a pas souhaité se mettre en avant, il a laissé la parole à un autre habitant qui a insisté sur sa volonté d’emprunter la voie judiciaire, afin de faire plier l’État. « On a toute l’année 2024 pour faire sortir ce projet, car il y a des problèmes techniques sur le terrain, mais aussi des problèmes de valeurs humaines, souligne-t-il. On s’aperçoit qu’après les échanges avec les services de l’État, on n’a jamais parlé de valeur humaine, ni de valeur environnementale. Et ça, ça pèse en terme de coût ».
Une mobilisation qui dépasse commune
Ce grand rassemblement a également montré que l’opposition à la prison dépasse largement les frontières de Magnanville : bon nombre d’habitants des communes adjacentes, mais aussi d’élus locaux ont fait le déplacement pour soutenir leurs voisins. « C’est avec amitié et un soutien total que je suis ici, a assuré le maire de Mantes-la-Ville, Sami Damergy (SE). J’ai assisté à plusieurs comités de pilotage, et quand on a vu comment était géré ce projet, on s’aperçoit que le site de Magnanville pourrait également être éliminé du processus. J’en suis témoin, j’ai proposé une possibilité qui a été retoquée. On a l’impression que c’est un article 49.3 revisité ».
Le maire d’Aubergenville et Vice-président de la communauté urbaine, Gilles Lécole, a lui rappelé l’opposition de GPSEO à un État « totalement sourd ». « La CU s’est exprimée il y a peu et a rejeté le projet, rappelle-t-il. Même si on a vu que quelques élus, pour des raisons qui sont les leurs, n’ont pas adopté cette motion de rejet. La CU ne veut pas de la prison, ni à Magnanville, ni sur la communauté urbaine ».
La sénatrice des Yvelines Ghislaine Senée a, elle aussi, pointé du doigt la « contradiction de l’État ». « On nous explique qu’il faut faire du zéro artificialisation nette, qu’il faut arrêter d’artificialiser les terres agricoles, on nous dit qu’il n’y a plus d’argent, et malgré tout on continue, s’est-elle insurgée. La solution c’est d’être plus attentif à la population, faire plus de social, et au lieu de mettre des milliards dans des prisons, il faut les mettre dans les écoles. Il faut dire non au SDRIF, et à ce projet de prison ».
Une action par mois
Le sujet de la prison de Magnanville peut même se targuer de rassembler les élus de la majorité et de l’opposition sous la même bannière. L’élu minoritaire Dylan Guelton (EELV) l’a même assuré : « on est tous unis sur ce sujet ». Tout en essayant de balayer le fatalisme qui entoure le projet. « Il ne faut pas baisser les bras, parce qu’il y a un nombre important de projets d’envergure déclarés par les décideurs publics qui ne se sont jamais faits, quand on pense aux carrières dans le Vexin ou Notre Dame des Landes. Les manifestants ne se sont pas découragés et ont continué. Tant que les bulldozers ne sont pas là, il y a encore de l’espoir ».
Cette grande marche contre la prison marque le début d’une série d’actions vouées à faire plier l’État, et à empêcher la maison d’arrêt de sortir de terre. Et ça, c’est Michel Lebouc lui même qui l’assure. « Vous êtes en train de démontrer la force de la démocratie participative. Sans ça, on y arrivera pas. Aujourd’hui, c’est la première initiative, il y en aura d’autres. Je pense qu’il faut aller taper à la porte de l’État, et la porte de l’État, c’est à minima la sous-préfecture de Mantes-la-Jolie. C’est eux les décideurs, c’est eux qu’il faut aller secouer ». Un grand débat public sera organisé fin mai-début juin par la Mairie et la communauté urbaine GPSEO, tandis que le collectif d’habitants « Tous contre la prison à Magnanville » ambitionne de mener une action de protestation par mois en 2024.