72 ans, un âge bien tardif pour partir à la retraite, sauf quand on parle d’un site de production. Le 29 mars, les chaînes de montage de l’usine Renault-Flins ont vibré une dernière fois avant que la lumière ne s’éteigne – sûrement à tout jamais – après une ultime Renault Zoé. Maintenant, « il faut ranger sa chambre correctement » comme l’avait déclaré Stéphane Radut, le directeur du site, lors d’un interview datant du 15 novembre dans nos colonnes. L’année prochaine, les installations électriques seront condamnées, les outillages démontés, et la production de voiture neuve appartiendra au passé.
Toutefois, l’usine un peu plus grande que la principauté de Monaco va rester un des endroits symboliques du Mantois, contrairement aux tours EDF de Porcheville dont la destruction est prévue pour 2026. Pour cela, elle va devoir changer du tout au tout afin de perdurer dans le panorama des Yvelinois, notamment grâce aux activités liées à la Refactory. Et ce n’est pas la première fois que cela arrive. Vincent Leglaive, ancien directeur de la communication du site pendant dix ans, souhaitait en parler dans son livre Renault Flins, une page d’histoire automobile (paru aux éditions l’Harmattan le 28 mars dernier).
Un symbole du Mantois
Épris de sa société – « des gens attachants qui m’ont appris énormément, de l’opérateur de chaîne jusqu’au manager » – il connaissait déjà son sujet de mémoire lorsqu’il démarre son master d’histoire contemporaine. Le désormais écrivain plonge donc dans l’histoire flinoise de la marque au losange, de 1980 à 2010. Une période qui n’est pas le fruit du hasard : à cause des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, la machine Flins commence à se gripper et plonge vers une lente agonie. « Un des grands témoins de mon livre m’expliquait que l’usine devait changer d’époque sans pouvoir changer ses murs, narre Vincent Leglaive, une équation impossible à résoudre. » 1980 marque alors la fin du modèle taylorien, avec une organisation du travail très stricte dans laquelle l’opérateur répétait les mêmes gestes inlassablement. Il fallait basculer vers un modèle néo-taylorien avec lequel la structure de l’usine n’était pas forcément compatible, puisque bâtie dans un certain contexte et avec les règles de l’époque.
Cependant, les dirigeants ne se résolvent pas à attendre cette fin inéluctable. Ils tentent de rationaliser les moyens de production, de rendre le temps de travail plus flexible. Surtout qu’avec la fermeture de l’île Seguin de Boulogne-Billancourt, Flins doit maintenant assumer son statut de fleuron industriel du groupe. « C’était un véritable maintien en perfusion » constate l’ex-directeur de la communication. Les équipes commencent à se réduire à peau de chagrin. Les 20 000 salariés que comptait l’usine à son apogée deviennent le songe d’une époque révolue où 2 800 voitures sortaient chaque jour. Mais étonnamment, c’est une crise qui va lui donner du sursis.
« Avant la crise des subprimes (automne 2008, Ndlr), une espèce de Refactory avant l’heure était dans les cartons, rapporte Vincent Leglaive. Mais comme l’Etat (propriétaire à hauteur de 15,01 % du capital de Renault, Ndlr) avait réinjecté de l’argent, Renault a été contraint à devoir la garder en activité. » Le site continue donc de jouer les porte-étendards avec deux véhicules symboliques : la Zoé, soit la transition des voitures thermiques vers celles électriques, et la Nissan Micra, emblème de l’Alliance Renault-Nissan. Toutefois, la citadine ne tient pas toutes ses promesses de ventes. Des 132 000 véhicules produits par an annoncés, les chiffres font état de 50 000 les meilleures années. Tout cela est désormais clôt, ce qui ne rassure absolument pas Ali Kaya, délégué syndical CGT du site.
« On ne va pas fêter un désastre »
Lorsque Luca de Meo annonce la Refactory en 2021, il avait fait une promesse : il n’y aura pas de perte d’emploi. Un équilibre devait se faire entre les nouvelles activités et les formations internes. « On se doutait qu’il mentait mais quand même, indique le salarié Renault avec un ton résigné, nous étions 4 000 au début du projet puis avec la baisse de cadence et les modifications nous sommes aujourd’hui 2 300. » Par ailleurs, il précise que les suppressions de postes concernaient surtout des intérimaires ainsi que des départs volontaires.
Dans notre édition du 15 novembre, Stéphane Radut certifiait que l’objectif des 3 000 emplois d’ici 2030 serait atteint. Une certitude s’expliquant par l’arrivée de nouvelles activités en lien avec la mobilité et l’économie circulaire : « Nos besoins d’ici juillet sont de 200-250 personnes. En tout, nous avons déjà 600 emplois d’assuré. Il en reste donc 400 à créer. » Des propos qui laissent tout de même Ali Kaya dubitatif : « C’est un peu faux de dire qu’il y a de nouvelles activités car nous avons récupéré les emplois de l’usine de Choisy-le-Roi en supprimant quand même 150 postes sur les 300 qu’il y avait là-bas. » Le délégué syndical continue aussi d’être méfiant car beaucoup de promesses n’ont pas été tenues. « Il devait y avoir une usine de batterie, une nouvelle plateforme, rétorque-t-il. Et s’ils comptent recruter pourquoi fermer 6 lignes de bus ? Des gens vont devoir prendre leur voiture juste parce que les patrons estiment que ce n’est pas assez rentable. » Idem pour les réparations de véhicules dont il estime que c’est du travail volé au garage.
Cependant, la colère d’Ali Kaya n’a pas l’air d’arriver jusqu’aux oreilles du directeur de l’usine, lui qui assurait avoir de bonnes relations avec les partenaires sociaux. « Au début il y a eu de la méfiance, car un changement de cap rime souvent avec plan social, expliquait-t-il à l’intérieur de notre numéro 365. Mais au fur et à mesure, nous nous sommes fait confiance. Personne ne se met dans la posture d’avoir la science infuse. »
Dans tous les cas, dirigeants comme syndicats ne voulaient pas d’un événement en grande pompe. Pour les uns, ils symbolisent tout de même la fin d’une ère chérie tandis que pour les autres, cela reste « un désastre qui a laissé des personnes sur le carreau, avec des conséquences sociales dramatiques ». Reste maintenant à savoir si dans les prochaines années, nous parlerons de « La Refactory » quand l’usine Pierre Lefaucheux sera évoquée.
Un coup d’œil dans le rétro
L’usine de Flins-sur-Seine est une conception d’un architecte majeur du XXème siècle : Bernard Zehrfuss. Parmi ces créations nous retrouvons notamment le CNIT à la Défense, la Maison de l’Unesco à Paris, le stade Charletty, musée Gallo-romain de Lyon…
Sortie de terre en 1952, elle aura vu plus de 20 millions de voitures sortir de ces lignes de montage avec comme modèles iconiques : la Juvaquatre, la 4CV, la Renault 5, les différents modèles de Clio, la Twingo. Par ailleurs de nombreux visiteurs de marque ont foulé le sol du site flinois. D’Elisabeth II à Gérald Darmanin en passant par Charles Aznavour – à la demande d’un membre de sa famille, opérateur sur le site en 3×8 – l’usine Renault-Flins pourra se targuer d’avoir vu presque autant de stars qu’Hollywood Boulevard.