Strasbourg. Le bâtiment Louise-Weiss, haut de 17 étages en surface, surplombe la préfecture du Bas-Rhin. Il accueille en son sein les 720 députés qui – s’ils devaient être tous présents – tiendraient non sans mal dans le gigantesque hémicycle dimensionné pour 1 000. Cette année, leur mandat touche à sa fin et les électeurs des 27 pays composant l’Union européenne vont donc devoir retourner aux urnes le 9 juin pour un seul et unique tour.
La France dispose de 81 eurodéputés qui seront désignés de la manière suivante : les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix. Si, comme toute élection, elle a son importance, ce scrutin européen n’a pas l’air de passionner les foules actuellement. En effet, d’après les divers instituts de sondage, une abstention de 60 % est prévue. Et un malheur ne venant jamais seul, plus de 30 % des intentions de votes finirait dans l’escarcelle du Rassemblement National. Ce qui serait loin d’être anodin et annonciateur d’autres événements futurs bien plus graves.
Pourquoi tant de désamour pour une institution dont notre pays fait partie des six membres fondateurs ? « Dès qu’il y a un problème, on a toujours l’impression que c’est la faute de Bruxelles, théorise Mounir Satouri, eurodéputé EELV depuis 2019. Pourtant elle est à l’image des gouvernements de chaque pays ». En effet, les commissaires européens (au nombre de 28) – sorte d’équivalent à nos ministres – sont désignés par les États membres de l’Union Européenne.
« La loi PAC ? C’est le parfait exemple »
« Autre image qui nuit à l’UE, le fait de rajouter des contraintes alors qu’il y a déjà des lois présentes au niveau national » renchérit Theo Sardin, référent départemental des Jeunes avec Macron. Cependant, bien qu’ils ne soient pas du même bord politique, les deux hommes restent des européistes convaincus. « C’est le bon niveau à plein d’égards car tout seul, nous ne pèserions pas lourd face aux États-Unis et la Russie » assène l’un, « puis lorsque nous voyons les conséquences pour les pays qui se sont mis à l’écart comme le Royaume-Uni. Certains de leurs marchés s’effondrent… » poursuit l’autre.
Par ailleurs, les nombreux reproches faits à l’ancienne CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) se sont cristallisés autour de la politique agricole commune – plus communément appelée PAC – mise en exergue lors de la crise des agriculteurs en février dernier. Pourtant, elle est un pilier essentiel de l’organisation internationale, représentant 38 % des financements octroyés. « C’est le parfait exemple, lâche Théo Sardin. Elle est critiquée alors qu’elle permet à beaucoup de fermes d’obtenir jusqu’à 40 000 euros de subventions, et cela plusieurs fois dans l’année. »
L’élu chantelouvais est également convaincu de la nécessité des 9,5 milliards reçus par la France en 2022, même s’il aimerait grandement l’améliorer. Selon lui, la PAC enrichit surtout les grosses structures de l’industrie agroalimentaire et voudrait un autre mode de calcul pour la méthode de distribution : « Au lieu de financer les exploitations agricoles en prenant en compte leurs surfaces, pourquoi ne pas se baser sur le nombre d’emplois créés ? C’est ce que nous proposons dans notre programme. »
L’énergie est aussi sur le devant de la scène. Alors que la France produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme, la facture des Françaises et des Français ne cesse d’augmenter depuis la guerre en Ukraine. Le référent départemental des Jeunes avec Macron évoque alors le pacte énergie qui sera mis en application en 2025 : « La France réalise énormément d’investissements dans l’énergie verte et en effet cette hausse est difficile à comprendre. Mais les prix vont être revalorisés suivant les pays qui produisent, ce qui nous sera alors bénéfique. »
Bien que le siège du Parlement européen soit présent sur notre territoire, l’UE véhicule l’image d’être loin. Pourtant, les adresses mails des eurodéputés sont publiques et Mounir Satouri dispose même d’une permanence aux Mureaux. « Pourquoi on ne nous interroge pas sur nos sujets de discussion ? Se demande le candidat EELV. Il y a deux chaînes françaises qui parlent de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Par exemple, j’aurais été fier de parler de la directive du salaire minimum qui va augmenter le salaire européen de 20 % » (votée le 19 octobre 2022, Ndlr).
Pourtant, l’Union européenne se trouve bel et bien à chaque coin de rue. 12 % des financements qu’elle envoie aux États partent vers le social. « Il n’y a pas un gymnase sans une contribution du FEDER (Fonds européen de développement régional), pas une mission locale sans FSE (fonds de solidarité européen), la banque alimentaire est financée par l’Europe » martèle Mounir Satouri. En outre, les Yvelinoises et Yvelinois cherchant la quiétude à l’intérieur du parc du Peuple de l’Herbe à Carrières-sous-Poissy s’allongent sur les billets alignés par l’organisation créée en 1952. En effet, le plus grand espace naturel du 78 a été financé par la Commission européenne au titre du programme LIFE+, un programme soutenant les projets participant à la mise en œuvre de la politique environnementale européenne.
La menace de la peste brune
Toutefois, pour s’intéresser à l’Europe, il faut parler de l’Europe. Or, depuis le début de la campagne des élections européennes, les considérations nationales ont été mises sur le devant de la scène. « Certains l’utilisent comme un 4ème tour contre Emmanuel Macron, d’autres comme un rejet de sa politique » avance l’ancien directeur du centre social Grain de soleil à Chanteloup-les-Vignes. Difficile de lui donner tort puisque la présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, a sommé le Président de dissoudre l’Assemblée nationale en cas de défaite de la liste de la majorité aux élections européennes. Et parmi ceux à ne pas se présenter aux urnes, les jeunes figurent en tête de liste. « Pourtant ils sont très investis, comme nous pouvons le constater sur les sujets de l’écologie ou sur des combats sociétaux » tempère Jan Robert Suesser, responsable Europe à la Ligue des droits de l’Homme, lors d’une conférence débat sur le fonctionnement de l’Union Européenne organisé à Andresy le 13 mai. L’eurodéputé EELV leur fait aussi confiance. Il mise sur un sursaut dans la dernière ligne droite, comme ce fut le cas en 2019. Cependant, leurs intentions de vote ont l’air différentes.
La jeunesse n’emmerde plus le Front National. D’après le sondage IFOP « Les jeunes et les élections européennes 2024 », mené conjointement avec Les Jeunes Européens – France, l’Anacej et Animafac, 32 % des personnes âgées de 18 à 25 ans indiquent qu’il est le plus probable que leur vote soit en faveur de la liste du Rassemblement National de Jordan Bardella. « C’est parce qu’ils font des sourires, des Tiktok à foison. Ce n’est pas pour rien que Jordan Bardella est tête de liste » s’emporte Théo Sardin. Le référent départemental pointe notamment leurs changements de position sur la sortie de l’UE – « au gré des mouvances » – et la performance de l’ami du GUD (mouvement syndicat néo-fasciste) face au premier Ministre Gabriel Attal, « il ne sait même pas ce qu’il signe lors des commissions européennes ».
Par ailleurs, Theo Sardin réfute l’idée que le cordon sanitaire ait été brisé par la majorité : « Aujourd’hui l’hémicycle est assez représentatif du second tour de la présidentielle. Notre politique à l’Assemblée Nationale est de tendre des mains partout. Il y a eu des accords transpartisans sur un certain nombre de lois. Au moins nous les mettons devant leurs responsabilités et nous voyons qu’ils ne font rien de leur niche parlementaire. » En revanche, Jan Robert Suesser est plus vindicatif. Il craint une complexification des décisions en cas de victoire du RN et que la branche d’extrême-droite de l’Assemblée européenne essaie d’influer sur des lois en se basant sur « des identités qui excluent ».
Le 9 juin sera donc un tournant dans l’histoire de l’Union européenne. Menacée par une montée du nationalisme, celle-ci doit pourtant poursuivre son Green Deal – l’ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050 – tout en traitant l’accompagnement social lié à la sortie du COVID et des conséquences de la guerre en Ukraine.