
Des fleurs. Des larmes. Des sourires, aussi. Des Unes de Charlie Hebdo, brandies au nom de la liberté d’expression. Il y avait un peu de tout ça, sur la place de la Liberté de Conflans-Sainte-Honorine, le mercredi 16 octobre. Sous les coups de 19 h, une immense foule s’est recueillie à la mémoire de Samuel Paty, professeur du collège du Bois d’Aulne assassiné sauvagement, il y a désormais 4 ans de cela, par le terroriste islamiste Abdoullakh Anzorov.
Il s’agit chaque année d’un moment particulièrement émouvant pour l’ensemble des habitants de la commune, les anciens et actuels élèves, les professeurs et les connaissances de Samuel Paty. Mais cette année, l’hommage était empreint d’une atmosphère toute particulière. Dans quelques jours – le 4 novembre – doit débuter le procès des personnes impliquées dans son assassinat et dont la Ville a décidé de se constituer partie civile. Et sa sœur, Mickaëlle, vient de sortir un livre poignant, « Le cours de monsieur Paty » (Albin Michel), coécrit avec l’autrice Émilie Frèche, à l’intérieur duquel elle ne cache pas « qu’une grande colère [l]’habite » et regrette que « nos ennemis ont encore gagné du terrain ».
« Tu étais un homme, un professeur, un collègue, un père, un fils, un frère »
« Son assassinat résonne pour la très grande majorité d’entre nous comme un traumatisme, toutes générations confondues, comme une atteinte à la liberté, comme une attaque contre chacun d’entre nous, contre notre société tout entière, contre les valeurs de notre République, contre nos droits fondamentaux, clame le maire Laurent Brosse (Horizons), lors de son discours prononcé sur une estrade érigée pour l’occasion. Samuel Paty est devenu un symbole, malgré lui, de ce combat pour la liberté. Mais il n’est pas que cela. » L’édile local reprend de plus belle : « Nous devons honorer sa mémoire en protégeant ce pour quoi il a donné sa vie : une société libre, éclairée, où chacun peut s’exprimer librement, où le savoir est une arme contre l’ignorance et la haine ».

Après une minute de silence et une Marseillaise chantée la gorge nouée, est venu le temps du dépôt de gerbes de fleurs par des enseignants du collège, des membres du Conseil Municipal des Jeunes ou encore des élus, dont le maire de la commune et le député de la 7ème circonscription des Yvelines, Aurélien Rousseau. C’est devant le livre monumental représentant la liberté d’expression, qui trône désormais au bout de la place, que les habitants se sont ensuite massés, dans un acte aussi bien de recueillement que de résistance.
Quelques heures auparavant, c’était entre les murs du collège du Bois d’Aulne, à l’abri des caméras, que le corps éducatif a rendu hommage à l’enseignant qu’il était. « Quand on meurt assassiné, pris comme une cible symbolique, comment ne pas devenir un ? peut-on lire dans le texte rédigé par les professeurs. En quatre ans, il a tant été dit sur toi, Samuel Paty. Or, tu étais un homme, un professeur, un collègue, un père, un fils, un frère. Nous, nous ne connaissions que certaines de ces facettes. Mais on peut dire qu’il était un bon enseignant : c’était un professeur investi dans sa mission, apprécié de ses élèves. »
Des applaudissements pour acter le changement de dénomination
C’est dans la salle du Conseil départemental, à Versailles, que se déroulait le vendredi un moment d’autant plus symbolique, très attendu par tous ceux émus par le destin du professeur assassiné : l’officialisation du changement de dénomination du collège du Bois d’Aulnes par le Département, afin de lui donner celui de Samuel Paty. Pour ce faire, point de vote à main levée solennel après une litanie du pourquoi du comment, mais un tonnerre d’applaudissements de l’ensemble de l’assemblée. En agissant ainsi, Pierre Bédier désire voir l’établissement scolaire comme « l’idéal de la France » en lui donnant « le visage d’un homme humble, dévoué, passionné ».

L’homme fort des Yvelines n’oublie pas pour autant les autres victimes du terrorisme. « Le 16 octobre 2020, ça n’était pas la première fois que le terrorisme islamiste frappait dans notre cher département. Qui d’entre nous pourrait oublier Jessica et Jean-Baptiste ignoblement assassinés chez eux devant leur enfant à Magnanville ?, martèle-t-il avant de regretter que ces sinistres événements soient revenus aussi vite sur notre territoire, qui d’entre nous pourrait effacer de sa mémoire Stéphanie cruellement tuée au printemps 2021 à Rambouillet ? »
Étienne Champion était présent pour l’occasion. Le recteur de l’académie de Versailles – lui-même ancien professeur d’histoire-géographie – a été particulièrement touché par le symbole de cette concorde : « La communauté éducative, la commune, et le Département ont fait ce choix fort pour qu’on se souvienne de la mission essentielle du collège. » Car avec l’assassinat de Samuel Paty, c’était la première fois que l’école et toute sa symbolique était visée. Ce lieu, où l’enfant entre pour cheminer vers l’âge adulte, sous la houlette des professeurs transmettant les savoirs indispensables à leur vie dans le but de devenir des citoyens libres et éclairés.
Ce changement de nom intervient quatre ans presque jour pour jour après l’assassinat de l’enseignant, car il fallait respecter « les légitimes émotions de tous les acteurs de cette épouvantable tragédie » explique Pierre Bédier. Et même s’il a l’air de convenir à tout le monde, plusieurs associations de parents d’élèves de Conflans-Sainte-Honorine (FCPE, la Peep et l’Alpec) déploraient de ne pas avoir été associées à cette décision.

D’accord sur le principe, elles ont toutefois expliqué leur ressentiment à travers une lettre ouverte à destination du directeur académique, à la principale de l’établissement et au maire. « Ces élèves, nous sommes leurs parents et nous savons ce qu’ils ressentent encore. Ils n’oublieront jamais ce qu’il s’est passé. Ce ne sont pas juste des enfants, des élèves de n’importe quel autre collège de France : ce sont ceux qui ont vécu cet attentat » s’emportent les fédérations de parents d’élèves. Avec, comme principale crainte relevée, que « cette prise de décision en l’absence de concertation » fasse « des enfants de la République, aujourd’hui tout comme il y a quatre ans, les grands oubliés. »
Pour les professeurs du Bois d’Aulnes, l’oubli, il n’y en aura jamais. « Ce collège restera profondément marqué par le 16 octobre 2020, cet attentat fait partie de son histoire » relatent-ils. Marqué par la mort, l’établissement scolaire voit ainsi toute son équipe éducative lui faire une promesse, celle de rester un lieu de vie malgré tout. « Nous ferons vivre sa mémoire, en racontant les faits, en tentant d’expliquer, de mettre des mots, en travaillant sur les valeurs de la République, en aiguisant votre esprit critique, en ouvrant votre esprit comme le faisait Samuel Paty » assurent les enseignants aux actuels et futurs élèves.