RSA sous condition : progrès ou dérive sociale ?

La réforme du RSA, dont le versement est désormais conditionné à une quinzaine d’heures d’activité hebdomadaires, entre en vigueur en ce mois de janvier 2025. Cette mesure décriée par bon nombre d’associations et de syndicats fait l’objet d’une expérimentation dans les Yvelines depuis l’année 2023. Selon Laurence Bohl, directrice de l’insertion et de l’accompagnement social au Département des Yvelines, il s’agit avant tout d’une aide pour un retour pérenne à l’emploi.

Cela faisait partie des promesses de campagne d’Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle de 2022. Mais celle-ci fait particulièrement grincer des dents : depuis ce mercredi 1er janvier 2025, les près de deux millions de bénéficiaires du RSA sont automatiquement inscrits à France Travail (ex-Pôle emploi). Mais ce n’est pas tout. Tous doivent désormais signer un « contrat d’engagement », précisant des objectifs d’insertion sociale et professionnelle. Parmi ces objectifs, la possibilité d’avoir 15 à 20 heures d’activité chaque semaine.

De quoi déclencher une véritable levée de boucliers. Au mois d’octobre, déjà, le Secours catholique et d’autres associations alertaient sur les « dérives » possibles de la réforme du RSA. « Le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % dans les départements qui expérimentent la réforme, tandis qu’il diminue de 0,8 % dans les autres départements, souligne le Secours Catholique dans son rapport. Il peut s’agir d’une conséquence directe de cette réforme qui durcit les conditions d’accès au RSA ainsi que les sanctions ».

« Je pense que c’est un faux problème »

Parmi les autres craintes évoquées, le risque de travail gratuit. « Il y a un risque qu’elles consistent à leur faire réaliser un vrai travail, mais non rémunéré, avance l’association. Et que cela tire le marché du travail vers le bas. Dans l’Eure, par exemple, le maire d’une petite commune a prévu, pour des raisons budgétaires, que l’entretien du cimetière, normalement effectué par du personnel communal, soit désormais réalisé gratuitement par des allocataires du RSA ».

L’indignation est tout aussi palpable chez les syndicats et une partie de l’opinion. Une telle crainte est-elle justifiée ? « Je pense que c’est un faux problème », tempère Laurence Bohl. Directrice de l’insertion et de l’accompagnement social au sein du Département des Yvelines, elle a surtout piloté l’expérimentation de la mesure sur le territoire à compter du mois de juillet 2023.

Revenons quelques mois en arrière. Alors ministre du Travail, Olivier Dussopt signait avec Pierre Bédier, président du Département des Yvelines, la convention d’expérimentation de « l’accompagnement rénové des allocataires du RSA ». Le Département faisait alors partie des 18 territoires sélectionnés pour « préfigurer un accompagnement renforcé vers l’emploi, avec France travail ». Cet accord devait permettre « d’aider chaque personne à trouver le chemin de l’emploi, et à chaque entreprise de dénicher le bon profil ».

Sur les 26 000 Yvelinoises et Yvelinois bénéficiaires du RSA en 2024, 6 000 d’entre eux ont pris part à cette expérimentation, dont 4 000 sur le territoire de Saint-Quentin-en-Yvelines (de juillet 2023 à décembre 2024), et 2 000 sur celui de Terres d’Yvelines (de juin 2024 au 31 décembre 2025). Soit près de 25 % des bénéficiaires du RSA. « On a des résultats qui sont intéressants et qui font l’objet d’un suivi, assure Laurence Bohl. Sur le territoire de SQY, après 6 mois d’entrée en parcours d’accompagnement, le taux d’accès à l’emploi est de 42 %, contre 38 % en moyenne pour les autres territoires ­expérimentateurs ».

Une aide pour « trouver le chemin de l’emploi »

La proportion de bénéficiaires ne percevant plus l’allocation, 6 mois après leur entrée en parcours, est même de 35,8 %, contre 30 % en moyenne pour les autres territoires qui ont mené l’expérimentation. « L’objectif, c’est de faire sortir le bénéficiaire de l’allocation, et de lui proposer des solutions qui lui permettent de ne plus dépendre de cette allocation qui est le dernier rempart avant la précarité ».

Cette expérimentation a surtout permis de créer une véritable synergie entre les différents acteurs de l’insertion. Depuis son lancement, le Département des Yvelines et France Travail ont en effet tissé des liens étroits pour proposer un meilleur accompagnement aux bénéficiaires. « Il y a une meilleure coopération, en s’appuyant sur les compétences de France Travail sur l’emploi et la relation entreprises, et le savoir-faire du conseil départemental en termes d’insertion professionnelle », souligne Delphine Philippe-Giraux, directrice départementale France Travail dans les Yvelines.

Ce rapprochement a été pensé pour faciliter la prise en charge des allocataires, qui est maintenant individualisée. « Désormais, une personne qui fait une demande de RSA obtient son rendez-vous dans les 15 jours, c’est une énorme avancée », se félicite-t-elle. Avant l’expérimentation ce délai pouvait atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. De quoi susciter un plébiscite chez les bénéficiaires ? « Pour les rencontrer régulièrement sur les ateliers proposés, ils sont très satisfaits d’être au contact de professionnels, de réseauter, de connaître le champ des possibles », assure Delphine Philippe-Giraux.

Que reste-t-il de l’expérimentation ?

Selon Laurence Bohl, l’indignation vient avant tout d’une incompréhension de l’activité imposée aux bénéficiaires du RSA. « On n’est pas sur du salariat rémunéré ou du travail bénévole, assure-t-elle. On est vraiment sur une solution d’insertion, un accompagnement individualisé, un plan d’action qui doit lever les difficultés d’accès à l’emploi ». Par exemple, si une personne allocataire du RSA n’arrive pas à obtenir un poste parce qu’elle n’a pas le permis, cet accompagnement va lui permettre de travailler l’obtention dudit permis. Cela peut également se traduire par de l’immersion dans un métier en tension comme l’hôtellerie, ou alors de l’emploi de transition. « Mais dans ce cas-là, le bénéficiaire sort du RSA », précise Laurence Bohl. Suffisant pour rassurer les plus sceptiques ? Dans tous les cas, la directrice de l’insertion et de l’accompagnement social au Département admet un « problème de communication ».

Pour mener à bien l’expérimentation de cette mesure, le conseil départemental a pu bénéficier d’un crédit de l’État à hauteur de 1,6 million d’euros, permettant d’ouvrir une bonne dizaine de postes, avec des coordinateurs de parcours spécialisés sur la remise en activité et sur le parcours professionnel des bénéficiaires, par exemple. Toutefois, la fin de l’expérimentation et les coupes budgétaires mises en place par le Département n’ont pas permis de conserver ces renforts. Laurence Bohl reste confiante quant à la capacité du conseil départemental à poursuivre les efforts amorcés ces derniers mois, et ces dernières années. « Avec l’agence ActivitY, par exemple, on a une culture de l’insertion qui fait qu’on devrait pouvoir réussir à maintenir nos résultats. On faisait déjà de l’expérimentation sans le dire ! »

C’est quoi, l’agence ActivitY ?

Créée en 2016 par les Départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines, ActivitY est une agence qui propose des solutions de remise en emploi aux publics trop longtemps éloignés du marché du travail. Cela concerne les bénéficiaires du RSA, mais aussi les jeunes et les chômeurs de longue durée. « Elle favorise le rapprochement entre les personnes qui cherchent à reprendre une activité et les employeurs qui ont besoin de main d’œuvre, précise le conseil départemental. En cinq ans, plus de 19 000 personnes ont été accompagnées par cette agence et 50 % d’entre elles ont pu reprendre une activité. Parmi ses initiatives, on trouve notamment le Bus Job Insertion et Social, qui va au contact de la population yvelinoise en sillonnant 23 communes du territoire pour proposer ses solutions d’accompagnement ».