Tour Vega : se souvenir en attendant la destruction

Construite dans les années 70, la tour Vega, la plus haute de Mantes-la-Jolie, sera détruite en 2027. Le bailleur social avait organisé une exposition en avril pour que les habitants puissent témoigner des bons comme des mauvais côtés de cet immeuble.

Alors que les tours Ader sont en train d’être démolies, la tour Vega attend patiemment son heure. En théorie, elle est censée arriver en 2027. D’ailleurs, cela commence à se voir légèrement. Les locataires des 157 logements sont moins nombreux – « nous avons déjà relogé un tiers des foyers » précise Lucile Akchar, développeuse sociale au sein du bailleur Batigère-Habitat – et depuis presque vingt ans, les trois derniers étages sont condamnés. Sa destruction marquera assurément un tournant dans le cadre du projet de rénovation urbaine engagé depuis les années 90. En effet, l’immeuble surplombe littéralement le quartier du Val-Fourré, d’une part par sa taille, environ 63 mètres, ce qui en fait le bâtiment le plus haut de la cité mantaise devant la collégiale, et d’autre part par sa couleur ocre. Cela n’a pas toujours été le cas puisqu’elle était beaucoup plus claire avant des travaux d’isolation réalisés par Soval, son ancien gestionnaire.

Ce projet d’ensemble a été conçu par l’architecte-urbaniste Raymond Lopez dans les années 60-70. Il était alors assisté par son confrère Henri Longepierre qui a dû poursuivre le projet après le décès de Lopez en 1966. Actuellement, elle fait figure de dernier des Mohicans puisque sur la dizaine de tours érigées dans le Val-Fourré, Vega fait – pour le moment donc – partie des quatre dernières rescapées. À l’intérieur se trouvent des appartements T1, T2 et T3. « Ce sont des logements avec des superficies qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les constructions actuelles. Elles sont assez grandes » détaille Lucile Akchar. Et en plus des surfaces comprises entre 40 et 60 m², certains habitants peuvent aussi profiter des balcons de plusieurs mètres carrés pour ­entreposer ­divers objets.

Commencer le devoir de mémoire

Au départ, les personnes qui débarquaient dans le bâtiment venaient seules pour ensuite construire leur vie ou être rejointes par les autres membres de leur famille. Car « même au sein du Val-Fourré, les loyers de la tour Vega sont très modestes » précise la développeuse sociale. Avant d’être condamné à mort, l’édifice aurait pu être intégré dans un projet de réhabilitation. « Il est relativement en bon état par rapport à d’autres. Au niveau des ascenseurs, ça fonctionne relativement bien. Il y a quelques problèmes liés à l’âge mais ça va. Le vrai problème ce sont les jets de déchets par les fenêtres » analyse l’employé de Batigère-Habitat. Mais les investissements auraient été trop importants donc tout est tombé à l’eau. Alors un devoir de mémoire a débuté en juin 2024. Le bailleur social a proposé à l’association Double Face de recueillir des mémoires d’habitants à travers des documents d’archives et de témoignages de ceux qui l’ont connue ou qui la connaissent toujours. Une dizaine de personnes s’est ainsi prêtée au jeu. « On a commencé à reconstituer le puzzle qui permettait de nous immerger dans l’univers de la Tour Vega et du quartier des physiciens » se remémore Virginie Loisel, la présidente de l’association. Ainsi, toutes les facettes ont été évoquées le temps d’une exposition qui a eu lieu du 11 au 27 avril au centre de vie sociale Aimé Césaire.

Alors que Mantes-la-Jolie commençait à s’urbaniser, la tour Vega surplombait déjà le quartier du Val-Fourré. (DR)

Face à la destruction, Aziz Afridou, gardien de la tour Vega depuis plus de 15 ans, se veut philosophe : « La tour va tomber, certes, je ne peux rien y faire c’est clair. C’est que de la pierre, hein ? On est que de passage sur terre, on va tous mourir … » Lui regrette l’incendie de la Pagode, une maison de citoyens qui assurait aux jeunes de l’aide aux devoirs et des activités. « Les gens venaient y passer du temps, maintenant, on détruit tout ce qui est culturel justement » se lamente-t-il avant de se questionner : « C’est bizarre, vraiment bizarre. Ce n’est pas le premier truc culturel qui brûle quoi. » Même si le Mantais remarque l’évolution des mentalités, « nous sommes dans une société individualiste où il n’y a plus de partage », il loue tout de même la solidarité toujours présente, comme le démontre chaque jour l’association Génération Solidaire. Selon sa présidente Aissata, cette ambiance est dûe au ­multiculturalisme.

Des souvenirs doux-amers

« Il y a énormément de monde, il y a toutes les communautés, de Dakar jusqu’au Maroc ou l’Algérie, en passant par la Turquie » remarque-t-elle. Auparavant fonctionnaire au sein d’une collectivité, cette ancienne locataire du 11ème étage s’occupe désormais de chantiers d’insertion par la couture, d’une recyclerie numérique et a réinvesti le rez-de-chaussée de la tour, portée par l’envie irrépressible d’agir pour ce quartier des physiciens. Point d’orgue de ce vivre-ensemble : en 2020 durant le COVID où Génération Solidaire a distribué 35 000 masques en tissus wax. « C’était complexe pour tout le monde, mais il y avait une solidarité naturelle, les gens amenaient du tissu qu’ils avaient chez eux. C’était vraiment une action solidaire, chacun se demandait ce qu’il pouvait faire en cette période trouble où des gens ­mouraient » rappelle Aïssata.

Cependant, la mère de deux enfants reste lucide et sait que tout n’est pas rose. « Quand mes enfants sont arrivés au lycée, ça leur a fait un choc ! Ils ont découvert qu’il y avait d’autres personnes qui viennent de milieux différents ! Ça, pour les enfants des quartiers prioritaires, c’est un peu complexe » explique-t-elle. Parmi les autres problématiques pointés du doigt, celle de la place des femmes. Amina, résidente au 10ème étage remarque que pour les femmes voilées, « c’est un peu restreint », regrettant notamment l’absence de coiffeur pour femme. Il y a également les points de deal : « ma grande sœur m’a dit : « la tour Vega, ce n’est pas génial. » Il y a des voyous, il y a de la drogue bon marché. »

Quelques séances d’atelier d’arts plastiques ont eu lieu afin de créer « la Vega rêvée » où des femmes ont réinterprété l’image de la Tour Véga avec des couleurs, feutres, encre, broderies.

Dans tous les cas, le sentiment d’appartenance prédomine. Aminata, 25 ans, vient de finir ses études dans le domaine de la QHSE (qualité-hygiène-sécurité-environnement) . Batigère-Habitat l’a aidé à déménager et malgré plusieurs propositions, celle-ci voulait rester à Mantes-la-Jolie : « Nous pouvions choisir Mantes-la-Ville ainsi que le centre-ville de Mantes-la-Jolie. Mais le Val-Fourré, c’est mieux parce qu’il y a la famille autour. Niveau transports, c’est très facile. Il y a tout aussi, il y a le marché et la CAF, il y a Auchan. Il y a tout en fait à proximité. Donc on vit bien. »

L’interrogation demeure pour l’après 2028. « Quel sera le projet à la place ? Des petites maisons ? Je ne sais pas, c’est des messes basses, Ce n’est pas officiel. On entend tout et rien » se demande Aziz Afridou. Ce temps d’attente pourrait permettre à l’association Double Face d’enclencher la deuxième partie du travail de mémoire. « On pourrait créer une sorte de résidence artistique avec des créations conçues par les résidents et des élèves » suggère Virginie Loisel. Les discussions vont toujours bon train entre son association et Batigère-Habitat. Et après l’engouement de la première partie, la présidente de Double Face espère avoir beaucoup plus de participants pour que la tour Vega soit à jamais gravée dans les souvenirs de tous les habitants.