Débat national : les participants restent sceptiques

Plusieurs élus ont décidé de jouer le jeu du grand débat national voulu par le président Emmanuel Macron en réponse à la mobilisation des gilets jaunes. Les participants aux réunions publiques s’interrogent néanmoins sur son impact quant aux décisions politiques à venir.

par Gaël Trévien

Et soudain, les mains se sont levées à la vitesse grand V. Il est proche de 20 heures mardi 29 janvier au sein du forum Armand Peugeot, à Poissy. Les participants au grand débat national voulu par le président Emmanuel Macron en réponse à la grogne sociale des gilets jaunes se sont déjà exprimés pendant 50 minutes sur le thème de la démocratie et de la citoyenneté. Mais quand vient au menu des deux heures de réunion la fiscalité et les dépenses publiques, la centaine de personnes qui a fait le déplacement, alors que la neige était annoncée dans la soirée, se bousculent pour solliciter le micro. Pourtant, quelques-uns d’entre eux se montrent sceptiques quant à l’issue de cette large consultation.

Impôt sur le revenu, pensions de retraite, assurance chômage, évasion fiscale, ISF… Tous les sujets sont abordés. Pour assurer la neutralité des discussions et animer la réunion publique, le Département avait dépêché sur les lieux Pierre Prévôt-Leygonie, professeur en communication à l’université de Cergy-Pontoise, et Cécile Delozier, formatrice et coach en politique. En préambule, les deux consultants ont rappelé les règles du débat aux participants à savoir « que chaque intervention ne doit excéder plus de deux minutes au cours desquelles on s’écoute ». Si certains ont joué le jeu, d’autres ont monopolisé le temps de parole.

« L’impôt sur le revenu c’est une usine à gaz et c’est quelque chose que les Français ne comprennent plus, peste un Pisciacais. Il n’y a que 43 % des foyers fiscaux qui y sont assujettis. J’ai discuté avec des gens qui ont des petits revenus et qui ne seraient pas offensés de mettre la main à la poche. Ce serait le moyen d’en faire un instrument de solidarité citoyenne. » Le reste de la salle acquiesce par des applaudissements, alors qu’à chaque prise de parole les verbatims qui retranscrivent en direct les déclarations des participants sont projetés sur un écran géant.

Il n’y a pas de gilets jaunes présents ce soir-là, peut-être quelques sympathisants, mais surtout des citoyens venus exprimer leur ras-le-bol. « Pourquoi avoir supprimé l’ISF plutôt que de l’aménager », questionne un homme d’une mesure pourtant catégoriquement écartée par Emmanuel Macron dans sa lettre ouverte aux Français. Une retraitée, « non gilet jaune » précise-t-elle, fait part de sa souffrance financière au quotidien, elle « qui fait partie des gens qui paient tout et ne bénéficieront de rien ».

Auparavant, le thème de la démocratie et de la citoyenneté a également été l’objet de vifs échanges. « Il y a une forme de défiance vis-à-vis des politiques où l’individu se sent soumis à un diktat », affirme un responsable d’une association locale, alors qu’un homme puis une femme réclament « davantage de pédagogie et plus de consultation dans la prise des décisions politiques ». Pour Jordan, Pisciacais depuis 20 ans, « l’un des principaux maux de la société, c’est la verticalité du pouvoir. Les citoyens ne l’ont plus, on élit des maîtres… »

A Poissy, une centaine de personnes a fait le déplacement jusqu’au forum Armand Peugeot mardi 29 janvier pour débattre sur la démocratie et la citoyenneté, puis sur la fiscalité et les dépenses publiques.

Mais tous ne partagent pas ce profond malaise. « Je ne vais pas me faire que des amis, mais à chaque fois qu’on essaie de réformer le pays en profondeur, les gens descendent dans la rue, souligne un homme dans la salle. C’est un peu facile car on doit tous faire un effort. » Alors que certains ont trouvé « le débat utile », d’autres parleront « d’enfumage ».

« Ce débat a le mérite d’exister mais de part son fonctionnement il est déjà faussé, le cadre nous a été donné, le temps est limité. Il a une forme de mépris », râle une femme. « Les gilets jaunes ont exprimé leurs inquiétudes mais il n’y a aucun thème qui reprend leurs revendications, poursuit sur la même ligne Rachid. Il faut mettre en place le référendum d’initiative citoyenne (RIC), mais nos hommes politiques ont peur de cela car ce serait un frein à leurs prérogatives. »

En fin de séance, les participants avaient la possibilité de remplir un questionnaire sur les différents sujets abordés pendant la soirée avant de le déposer dans une urne à la sortie. L’ensemble des contributions recueillies ce soir-là, quelles soient orales ou écrites, seront transmises au gouvernement. Depuis quelques semaines, la municipalité dirigée par le maire Karl Olive (LR) permet aussi aux Pisciacais de participer au grand débat via la plate-forme participative « mon avis citoyen ».

A Septeuil, le décor est tout autre, plus familial, en cette soirée du mercredi 6 février. Ici, pas de cadre vraiment fixé, les interventions se font pêle-mêle au gré des inquiétudes du moment comme une sorte de thérapie collective. « On parle de tout, il n’y a pas de sujet tabou », annonce en introduction Dominique Rivière (SE), le maire de cette commune de 2 400 habitants environ. « Cela peut être des cris de colère mais aussi des idées, on vous laisse la parole », indique pour sa part Philippe Geslan, premier magistrat de Méricourt (SE) et président de l’association des maires ruraux des Yvelines.

La cinquantaine de personnes qui a pris place au sein du foyer rural va surtout avoir l’occasion d’échanger avec le député de la 9e circonscription des Yvelines Bruno Millienne (Modem), venu au départ « en simple observateur », mais qui pendant plus de deux heures va répondre aux nombreuses questions soulevées par les administrés.

« Entre la taxe d’habitation et la taxe foncière, quand on a la chance d’avoir un patrimoine, les impôts que l’on doit payer sont énormes, fulmine une habitante de la commune. A cela s’ajoutent les frais médicaux qui ne sont pas remboursés. Et, on ne peut même plus manifester car on se fait taper dessus. Il y a tout à changer sinon cela va mal finir, les gilets jaunes ont raison de s’inscrire dans la durée », prévient-elle.

Jeannette, qui a fait une dizaine de kilomètres depuis Vert pour venir faire part de son mécontentement, indique que « les services publics ont déserté les petits villages ». Bloc-note à la main, la retraitée énumère toute une série de griefs : « On n’a plus de médecin dans notre commune, il faut désormais se rendre à Septeuil. Pour les gens qui ont des difficultés à se déplacer c’est compliqué. Et puis, l’augmentation des petites retraites et des pensions serait la bienvenue. »

De son côté, Jean-François a lui aussi préparé son discours sur une feuille de papier. « Je souhaite voir le pouvoir d’achat des actifs et des retraités réellement pris en compte mais de façon pérenne et non sur un an, dit-il. Certains retraités doivent reprendre une activité salariée, ils paient des cotisations, mais le montant de leur retraite n’est pas revalorisé, ce n’est acceptable. » Ce à quoi Bruno Millienne répond : « Il n’est pas normal que les retraités qui reprennent une activité paient des cotisations retraite qu’ils ne toucheront pas, c’est une aberration totale. Il faut qu’on change la loi et nous sommes en train de travailler dessus. »

Sur l’impact du débat quant aux futures décisions politiques, Jean-François émet quelques doutes. « Ce débat est une très bonne idée, c’est la première fois que je regarde un parlementaire droit dans les yeux. On a la parole, mais est-ce qu’on sera écoutés », demande-t-il au député. « S’il ne sort rien de ce grand débat, on n’a plus qu’à se mettre la corde au cou, rassure Bruno Millienne. On attend tous les résultats avec impatience. On traitera les préoccupations majeures en priorité et on demandera des comptes au gouvernement et au président de la République. On a une chance unique de recréer un contrat social et fiscal avec nos administrés », martèle l’élu parlementaire. « On a tellement vu de députés godillots (parlementaires qui votent sans discuter, Ndlr) qu’en tant que citoyen on est en droit de se méfier », conclut Jean-François.

A Meulan-en-Yvelines, la transition écologique au menu

La colère des gilets jaunes avait pour point de départ la hausse sur la taxe carbone censée favoriser la transition écologique. Jeudi 7 février au soir, ils sont une quarantaine à s’être pressés jusqu’à la ferme du Paradis, à Meulan-en-Yvelines, pour débattre sur ce thème.

Très vite, le décor est planté : « La planète court à la catastrophe, elle est en danger de mort, avance un habitant. Il faut une révolution dans nos modes de consommation ». Un autre demande « de taxer les transporteurs aériens, maritimes, routiers qui polluent le plus, mais aussi les produits importés de Chine à base de plastiques ».

Le développement des énergies renouvelables est également au cœur des préoccupations. « Nous devons produire de l’électricité autrement notamment à partir de barrages hydroélectriques ou de panneaux solaires », explique un participant.

Quant à la politique menée par l’État sur l’environnement, elle est loin de satisfaire les citoyens. « Il faut changer nos pratiques, mais les décisions de l’Etat, qui est prisonnier des lobbys, sont insuffisantes notamment en ce qui concerne l’énergie nucléaire », peste un homme.

PHOTOS : LA GAZETTE EN YVELINES