La dernière ligne droite. Avant les réquisitions des avocats généraux dans l’affaire de l’assassinat de Samuel Paty, ceux des parties civiles ont mis du cœur à l’ouvrage pour démontrer la culpabilité partagée des huit accusés le 14 décembre. Des efforts peut-être dus aux « questions subsidiaires » posées par le parquet national antiterroriste qui pouvaient avoir de lourdes conséquences. Certains prévenus étaient susceptibles de voir leur chef d’accusation revu à la baisse.
Maître Cabusolo Ferro, représentant une partie du collège du Bois d’Aulne et de l’Association française des Victimes du Terrorisme (AFVT), ne mâche alors pas ses mots. « Monsieur Chnina et Monsieur Sefrioui ont mis le collège dans l’axe du couteau d’Abdoullakh Anzorov, lâche-t-il, et je dis bien Monsieur Sefrioui ! » En effet, quelques jours plus tôt, le prédicateur islamiste se targuait de n’avoir divulgué aucune information cruciale dans sa vidéo et qu’elle n’avait jamais été vue par le terroriste. Toutefois un doute subsiste, puisque le Tchétchène faisait référence au discours prononcé par Emmanuel Macron aux Mureaux dans ses revendications, à l’instar de l’autoproclamé représentant des imans de France… L’avocat de l’ancienne principale du collège renchérit : « C’est un pyromane qui reproche aux pompiers de ne pas éteindre le feu sur lequel il souffle. » Il raille la roublardise de Sefrioui, « toujours à la limite » en public, mais derrière, capable de cracher sur sa fille et de la traiter de « sale juive ». Si les hommes et les femmes de loi concentrent leurs efforts sur les deux protagonistes, ils n’en oublient pas moins les six autres, à commencer par Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud. « Comment « ses frères » ont-ils fait pour ne pas voir ? » s’interroge Thibault de Montbrial.
Pourtant, le premier cité avait peur de finir « fiché S » en restant au contact d’Anzorov – qui ne cachait même pas ses velléités de départ en Syrie – tandis que le second lui servait de chauffeur. Il pouvait même deviner son sombre dessein le 16 octobre. « Il faut être miro pour ne pas voir que c’était un collège » avait lancé un des mineurs condamnés pour complicité de cet attentat durant son témoignage à la barre trois semaines auparavant.
Yusuf Cinar, qui s’endormait « en regardant des vidéos de décapitation », Louqmane Ingar et Priscilla Mangel, « la lacheté et le mensonge les rassemblent » balance Me de Montbrial. Pour la femme de 36 ans mariée à Sami Garouz (condamné à 14 ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste), c’est surtout son implication sur les réseaux sociaux. Connue en tant que « Cicatrice sucrée » ou « Cicats », elle n’hésitait pas à mettre de l’huile sur le feu, comme lorsque celle-ci indique à Anzorov que « Samuel Paty n’aura aucune sanction ». De son côté, Ismail Gamaev passe légèrement entre les balles. Même si les avocats restent circonspects sur sa déradicalisation en prison, il a au moins eu le courage de tout avouer et de plaider coupable : « J’en ai engrainé des personnes, dont un est passé à l’acte… »
Finalement, si Justice doit être rendue, c’est pour les cicatrices visibles et invisibles que cet attentat laissera à jamais sur les victimes collatérales. Les multiples syndromes de stress post traumatique, la vie devenue un combat de tous les jours, notamment pour Mickaëlle Paty. Durant sa plaidoirie, son avocate, Pauline Ragot, parle au nom de « ce petit bout de femme, intimidante parfois ». L’infirmière anesthésiste a promis à « Samu » de se battre pour eux deux et voit enfin la lumière au bout du tunnel avec la délibération prévue pour le 20 décembre. Le dernier mot sera laissé à Maître Francis Szpiner. L’ancien maire du XVIème arrondissement de Paris, représentant du fils de Samuel Paty et de son ex-femme, a donc mis la pression sur les juges : « Thomas (le nom a été modifié) est devenu pupille de la Nation. Vous jugez au nom du peuple, au nom de la Nation, il est désormais votre enfant et je vous fais confiance pour le protéger. »
Lundi, toutes ces démonstrations ont semblé bien vaines. Les avocats généraux ont requis des peines allant de 18 mois de prison avec sursis (Priscilla Mangel) à 16 ans de réclusion criminel (Azim Epsirkhanov), ce qui a provoqué l’ire des avocats des parties civiles. « Ce sont des réquisitions scandaleuses », s’est emporté Me Virginie Le Roy, avocate des parents et de Gaëlle Paty, à la sortie de l’audience. Mickaëlle Paty ne cachait pas non plus son courroux : « C’est une déception, on a l’impression de se battre pour rien… » L’attente jusqu’au 20 décembre sera décidément très longue.
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