Attentat de Samuel Paty : lors du procès, familles et accusés face-à-face

Depuis le 4 novembre, le procès des huit adultes soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat de Samuel Paty s’est ouvert à la cour d’assise spéciale de Paris. Cette première semaine aura été marquée par plusieurs accusés refusant de reconnaître leurs torts, tandis que de son côté la famille peine à se reconstruire depuis cette journée du 16 octobre 2020.

De par son immensité (750 m²), la salle des grands procès de la cour d’assise de Paris n’est réquisitionnée que pour des procès emblématiques. Après celui des attentats du 13 novembre 2015, la voilà désormais le théâtre de celui de l’attentat d’Eragny-sur-Oise, plus communément appelé « meurtre de Samuel Paty ». Du 4 novembre jusqu’à la fin du mois de décembre, en plus des huit personnes suspectées d’être en lien avec l’assassinat du professeur d’histoire-géographie, 98 témoins vont se succéder à la barre afin de comprendre comment on en est arrivé là.

Il est loin le temps des vidéos vindicatives ou des messages vomissant la haine. Dans le box des accusés, les dos deviennent subitement voutés, les regards fuyants. Le seul moment où chacun retrouve de l’énergie, c’est lorsque le président de la cour demande s’ils reconnaissent les faits qui leur sont reprochés. Hormis Ismael Gamaev, tous contestent, une demi-surprise. En effet, l’avocat Vincent Brengarth a d’ores et déjà annoncé qu’il demanderait l’acquittement pour son client, ­Abdelhakim Sefrioui.

Jamais au courant de rien

Autre point commun, ils se défendent d’être des islamistes radicaux, enquêtes de personnalité à l’appui. Azim Epsirkhanov est « musulman comme sa famille » mais « n’investit pas la religion comme une contrainte ». Il rencontre Abdoullakh Anzorov au collège, durant l’année de 6ème. Les deux écoliers nouant une amitié grâce à leur histoire similaire : celle de deux enfants dont les familles tchétchènes ont été persécutées en Russie. Le jeune homme de 24 ans enchaîne alors. Au lycée, leur relation devient « plus virtuelle que réelle » car il perçoit des changements dans le comportement de son « ami ». « J’ai parlé de changement, pas de radicalisation, je ne savais même pas ce que c’était. Pour moi, c’étaient juste des prières plus régulières » précise celui qui a accompagné l’assassin de Samuel Paty acheter des couteaux et des fusils airsofts le 15 octobre 2020.

Du 4 novembre au 20 décembre se tiendra à la cour d’assises spéciale de Paris le procès des huit personnes impliquées dans l’assassinat de Samuel Paty.

Quant à Naïm Boudaoud, sa piété se résume à prier lorsqu’il a un problème. Il aime juste « rendre service ». « C’était monsieur je prête tout, il a un côté naïf, il ne voyait pas le mal », relate son père alors que son fils à tout de même amené Anzorov jusqu’à Conflans. Naïf au point de ne pas comprendre les desseins qui animaient son compère de la salle de sport ? Son avocate lui demande combien de fois ils se sont vus tous les trois. « Une fois à la salle de sport en 2019 et une autre en octobre 2020 » réplique Naïm Boudaoud.

Dernier habitant d’Evreux faisant partie du cercle proche d’Abdoullakh Anzorov, Yusuf Cinnar refuse l’appellation de terroriste islamiste. Surtout, il fuit comme la peste cet islam radical qui a brisé son enfance : « Mon père est un salafiste. Il obligeait ma mère à porter la burqa et me frappait si je ne priais pas. » La séparation de ses parents reste une éclaircie dans sa vie jalonnée par des petits méfaits, comme faire le guet dans des coins de deal ou jeter une bouteille contenant de l’acide chloridrique et de l’aluminium dans une cour d’école. « C’était un samedi, y avait personne » se justifie-t-il.

Un amour pour la France, pays de « la laïcité et des libertés »

Puis vint le tour de Brahim Chnina. Le père de l’adolescente à l’origine de la rumeur funeste est présenté comme un « un homme bon, dévoué, papa poule ». Des photos de lui en vacances en Espagne sont alors projetées où toute la petite famille est souriante afin de corroborer ses propos. « Elevé dans la laïcité » qu’il définit lui-même comme le fait de ne croire ou ne pas croire et de respecter toutes les formes de croyance, le cinquantenaire a fait du don de soi son crédo dans la vie. Cela commence dès l’année 1984 lors de la naissance de son petit frère Rachid. Celui-ci est atteint du syndrome HDR, une maladie génétique rare, qui provoque déficience intellectuelle, maladie rénale et surdité. Rachid doit être constamment surveillé et c’est Brahim qui endosse ce rôle de père de substitution jusqu’à sa mort en 2012. Par ailleurs, il aide les personnes handicapées, qu’il nomme « les extraordinaires », en tant que chauffeur ou auxiliaire de vie. C’est à cause de ce dévouement que son mariage bat de l’aile puisqu’il avait quitté le domicile conjugal depuis 5 ans, alternant entre celui de sa mère et de sa sœur.

Pour lui, plus que pour les autres, la Défense fait tout pour rendre incompréhensible son concours à un attentat terroriste. Après tout, le Conflanais est aussi une victime de ce mal. Sa demi-sœur, Samia (nom changé) est partie du jour au lendemain en Syrie. « C’est à cause d’Amar, elle l’a rencontré sur les réseaux sociaux, il l’a endoctrinée, explique le cinquantenaire, il lui a promis le Paradis alors qu’il l’a amené en Enfer. » « Comment avez-vous vécu ce départ ? » lui demande son avocat Maître El Ouchikli. « Nous avons tous été choqués et nous avons beaucoup souffert. On nous l’a volée et violée » raconte-t-il avec émotion. Cette histoire interroge une des avocates de la partie civile : « Vous saviez donc dès 2014 les dangers des réseaux sociaux. » Brahim Chnina acquiesce : « C’est pour ça que j’ai toujours dit à mes enfants de ne pas parler avec n’importe qui. » Les conseilleurs ne sont pas les payeurs…

Enfin, même s’il a refusé l’enquête de personnalité parce « qu’il était sûr de sortir de prison », Abdelhakim Sefrioui a su se montrer sous son meilleur jour. Alors qu’il est étudiant, il souhaite poursuivre son cursus à l’étranger et arrive en France en 1982. « Ce que j’aimais, c’était la liberté d’expression », avoue-t-il. Après avoir décroché un diplôme d’ingénieur marketing, il décide d’enseigner durant treize ans. « Est-il arrivé que des élèves ou des parents vous contestent ? » pointe une assesseure. Le prédicateur répond par la négative tout en narrant avoir été confronté au racisme de deux élèves. Il assure alors avoir réglé la situation de manière non conflictuelle, un comble pour celui qui ira devant les grilles du collège du Bois d’Aulne pour demander la mise à pied « d’un professeur voyou ».

Les sœurs de Samuel Paty, Mickaelle (à gauche) ou Gaëlle (à droite), n’accepteront aucune excuse de la part des personnes soupçonnées d’avoir participé au meurtre de leur frère.

Aucune d’excuse ne sera acceptée

Ces « discours victimaires », la famille de Samuel Paty était aux premières loges pour les entendre durant toute la semaine. Le vendredi leur a presque servi de droit de réponse. Quand les accusés parlaient de leur détention terrible, des insomnies ou de leur maladie, Gaëlle, une des sœurs de Samuel Paty, s’insurge : « Moi aussi je dors mal, moi aussi j’ai des douleurs partout depuis le 16 octobre 2020 ». Cette tragédie a marqué jusque dans sa chair cette famille dont l’Éducation nationale est chevillée au corps. Bernadette la mère, commence par excuser son mari : « Nous voulions être tous les deux en forme mais une mauvaise chute a décidé du contraire ». D’apparence fluette, sa voix ne tremble pas quand elle détaille le grand vide depuis la mort de Samuel. « Nous n’avons plus d’énergie, nous qui avions l’habitude de voyager, nous nous forçons à faire une petite balade et à garder le sourire pour nos petits enfants » détaille l’enseignante à la retraite.

Jeanne, l’ex-femme du professeur d’histoire géographie, préfère rester pudique sur sa propre douleur. C’est en tant que mère qu’elle s’avance à la barre, celle de Paul (nom changé), unique enfant né de sa relation avec Samuel Paty. « C’est pas juste » avait-il réagi avec ses propres mots quand sa maman lui a annoncé la terrible nouvelle. Eux, ce sont dans les gestes du quotidien qu’ils veillent à ne pas ranimer les troubles de stress post-traumatique comme poser des couteaux sur la table pour le repas. Et surtout, elle craint pour l’avenir de son rejeton : « Comment fait-on pour vivre une adolescence normale quand on s’appelle Paty ? » « C’est tellement injuste » répètera-t-elle plusieurs fois à propos de l’innocence perdue de son fils de 9 ans présent dans la salle.

Pour Mickaelle, la sœur cadette, c’est une douleur qui ne s’estompera jamais mais qui lui sert d’énergie pour « mener ce combat ». « J’appelle à une forme de décence, je ne veux pas d’avocats de la Défense qui viennent me présenter leurs condoléances, idem pour les familles des accusés » lâche-t-elle le regard noir vers le box des accusés. Des propos qui font écho à ceux prononcés par Gaëlle : « Jamais je n’accepterai la moindre excuse de personnes qui ne reconnaissent pas leur responsabilité. C’est totalement indécent. Sans vous, Samuel serait vivant aujourd’hui. » C’est une de ses filles qui résumera parfaitement ce que toute la famille attend de ce procès. En plus de la justice, ils espèrent enfin faire le deuil et avoir une chance de guérir…

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