Les hommages à Samuel Paty se succèdent
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Vendredi 16 octobre, vers 17 h. Les élèves du collège du bois d’Aulne prennent le chemin des vacances. Le professeur d’histoire, géographie et d’éducation civique, Samuel Paty, s’apprête à rentrer chez lui. Il n’y arrivera pas. Un jeune homme de 18 ans, Abdoullakh Abouyezidovitch Anzorov, l’attend aux abords de l’établissement pour l’assassiner (voir page 4). Cet « attentat terroriste islamiste », comme l’a qualifié le président de la République Emmanuel Macron (LREM), ce vendredi 16 octobre, a provoqué « l’émotion » chez les élèves, parents, riverains, élus et enseignants. Environ 1 000 personnes s’étaient ainsi rassemblées le lendemain devant l’établissement pour rendre hommage à Samuel Paty. La plupart d’entre elles ont déposé roses, bouquets de fleurs et autres bougies.
« C’était un bon professeur, il était attachant, se souvient Antonin, un ancien élève du professeur désormais en classe de première. Il était investi dans ce qu’il faisait. C’était un choc hier. On sait qu’il y a eu cet événement mais quand on entend le nom, cela fait un choc. » Ses propos sont confirmés par la cinquantaine d’élèves ou anciens élèves de Samuel Paty rencontrés aux abords de l’établissement. Parmi eux, Madeline, une élève de 3e qui avait l’enseignant affirme même qu’ « il mettait des deuxièmes chances aux contrôles ».
Alors qu’une cinquantaine de journalistes, tant nationaux qu’internationaux, est présente aux abords de l’établissement depuis la venue du président de la République, Emmanuel Macron (LREM), le soir du meurtre, un ancien élève de Samuel Paty s’en étonne. « Tout l’engouement autour de cela, je ne comprend pas trop, affirme-t-il le 17 octobre en regardant les caméras braquées sur l’établissement. C’est encore flou, je suis choqué. »
Beaucoup d’élèves considèrent que l’assassinat du professeur est dû à l’étude de caricatures religieuses diffusées par Charlie Hebdo et abordées par Samuel Paty en classe de 4e, dans le cadre de l’étude de la « liberté d’expression ». Un parent d’élève avait dénoncé cet enseignement dans des vidéos postées sur Internet et qui étaient devenues virales depuis leur diffusion. Les enquêteurs tentent d’établir le lien entre ces vidéos et l’attentat (voir page 4).
« L’ampleur que cela a pris pour moi est due à la diffusion sur les réseaux sociaux. C’est clairement ce qui doit être interrogé à mon sens », déclare ce même jour Cécile Ribet-Retel, la vice-présidente de l’association locale des parents d’élèves de l’école publique (Peep) de Conflans-Sainte-Honorine.
« On avait étudié ce qu’ils ont fait aussi, rétorque le lycéen qui explique que cela entrait dans le cadre de l’étude de la liberté d’expression. Il n’y a jamais eu de problèmes […]. C’est surréaliste. Je n’ai pas les mots pour décrire tout cela. C’est quelqu’un qui a fait son métier correctement et qu’il soit tué pour cela, c’est très grave. À ce moment-là, on ne parle plus de rien. On ne parle plus de liberté d’expression dans un pays qui est laïc ! »
« Je pense qu’il a tout simplement appliqué le programme, affirme Julien, un riverain passionné d’histoire et qui souhaitait enseigner cette matière quand il était plus jeune. Il y aurait eu une convocation, une réunion, peut-être un contrôle d’éthique sur ce qu’il s’est passé avec une confrontation des différents témoins, j’aurais compris mais en arriver jusqu’à là, je n’y crois pas. Je ne trouve pas les mots. »
Alors que les discussions sont nombreuses à ce sujet durant le rassemblement aux abords de l’établissement, l’enseignant en lycée professionnel à Évry (Essonne) et co-secrétaire de la CGT Éduc’action de l’académie de Versailles, Frédéric Moreau, préfère, quant à lui, rester prudent. « On a du mal à imaginer cela mais on ne connaît pas les circonstances, prévient-il en ne cachant pas sa « sidération ». Cela peut être aussi un coup de folie. Je n’ai pas envie de généraliser sur cet événement qui est vraiment extraordinaire au sens étymologique du terme […]. Ce n’est pas la règle qui vient de se passer là. »
Bien qu’il ne s’agisse pas de professeurs du collège du bois d’Aulne, plusieurs enseignants rencontrés ont toutefois fait part à La Gazette des conditions parfois difficiles dans lesquelles ils enseignent. « Toute la communauté éducative est en deuil. Il y a eu des suicides, il y a lui. Il y aura qui demain ? », interroge une enseignante référente ASH (Adaptation et scolarisation des handicapés, ndlr) dans le Val-d’Oise et portant avec sa collègue un masque écrit Je suis Samuel.
« On commence à en avoir assez d’arriver au boulot avec la boule au ventre en se demandant comment va finir la journée. Aujourd’hui, cela ne concerne pas que la religion […]. Je suis en élémentaire, chez les petits, mais les parents peuvent vous agresser parce qu’il a perdu son manteau, parce qu’il a perdu son cahier », poursuit-elle au bord des larmes en regrettant le temps où « l’enseignant avait un statut particulier et dont les gens ne se servaient pas d’eux comme ils se serviraient dans un supermarché ».
« Est-ce-que cet acte va pousser les personnes à être professeur ou au contraire les en dissuader ? », s’interroge Anis, un élève de sixième qui, suite à l’oubli de son « sac de piscine », aurait été le dernier à sortir du cours donné vendredi de 15 h 50 à 16 h 50 par Samuel Paty.
À cette question, une enseignante retraitée en biologie souhaite que la réponse soit négative. « J’espère que les professeurs ne vont pas devenir plus timides en se disant « non, je n’aborde pas ces sujets-là parce qu’il pourrait m’arriver ce genre de choses » », ajoute-t-elle par la suite en précisant qu’en biologie, des sujets donnant lieu à des « discussions passionnées » sont également abordés.
« Il ne faut pas avoir peur de continuer de parler de sujets comme cela […], lâche un élève de première et ancien élève de Samuel Paty. On ne va pas s’arrêter de vivre pour cela. Il faut continuer. Si on arrête de vivre, ils auront raison et il ne faut pas. » L’édile conflanais, Laurent Brosse (DVD), semble partager sa position.
« Je dois dire à mes habitants que nous nous relèverons, déclare-t-il en conférence de presse le 17 octobre en insistant, devant les médias, sur le fait que la commune est une « ville paisible ». Nous nous relèverons tous ensemble. Nous nous relèverons grâce à notre esprit de solidarité qui fait la singularité de Conflans-Sainte-Honorine avec un monde associatif extrêmement riche, un monde associatif de proximité […]. C’est en écoutant, en échangeant qu’on parviendra à surmonter cette épreuve dramatique. »
Ce même jour, plusieurs parents d’élèves s’interrogent justement sur le besoin de se rendre dans une des cellules psychologiques installées en ville. « On va aller voir au collège ce qu’ils proposent et on verra ce que cela va donner », déclare la mère de Madeline et de Gaétan qui est scolarisé en 5e et qui, tout comme Madeline, était un élève de Samuel Paty.
Selon un communiqué publié le 19 octobre sur la page Facebook de la Ville, la cellule dédiée aux collégiens, aux parents d’élèves et aux enseignants s’est clôturée le 20 octobre, à 17 h, au gymnase Claude Fichot. La permanence située au secteur d’action sociale pour toutes personnes nécessitant le besoin de s’exprimer s’est, quant à elle, terminée le 19 octobre, à 17 h. Pour « les personnes directement touchées par le drame » et qui ressentiraient encore le besoin de s’exprimer, « une cellule de soutien psychologique téléphonique est mise en place par téléphone au 01 44 49 24 30 ». À la date de parution de La Gazette, celle-ci est toujours active.
Concernant leur retour en classe à l’issue des vacances scolaires, beaucoup de collégiens et de parents s’interrogent sur les mesures qui seront prises. « C’est difficile à encaisser et c’est le retour au collège dans quinze jours qui va être un peu compliqué », déplore la mère de Madeline et Gaétan. « Il y aura plus de plans vigipirates qu’avant, s’imagine quant à elle une élève de quatrième. Je pense que les professeurs vont nous en parler aussi. »
En attendant leur retour au collège, les élèves qui affirment que leurs vacances vont être « perturbées », ont tous une pensée pour la famille de Samuel Paty. « Il aimait sa famille, sa femme et ses enfants, racontent-ils. On le sait parce qu’il en parlait en classe. Il nous racontait des petites anecdotes sur sa femme, les études qu’il avait fait, comment ils s’étaient rencontrés. C’était un cours vraiment libre où on pouvait apporter son opinion. On tient à leur apporter notre soutien. »
Crédits photo : SERVICE COMMUNICATION – VILLE DE CONFLANS-SAINTE-HONORINE