Jupe plissée, chemisier blanc, cheveux noués par un ruban de la même couleur, Zohra* Chnina s’est présentée à la cour d’assises spéciale de Paris dans le costume de l’écolière modèle le 26 novembre. Une stratégie pour amadouer les juges et le public ? Peut-être, car c’est la première fois que l’adolescente se présentait à visage découvert, puisque l’année dernière, le procès de huit mineurs impliqués dans l’assassinat de Samuel Paty – dont elle faisait partie – s’était déroulé à huis clos. « Vous n’aurez pas deux fois l’occasion de faire une première bonne impression » disait la maxime… Sauf que celle-ci va s’étioler au fur et à mesure des questions posées par le président de la cour et les avocats des parties civiles.
Zohra est juste là en qualité de témoin, mais c’est aussi une condamnée. D’abord par la justice – 18 mois de prison avec sursis pour « dénonciation calomnieuse » – puis par elle-même : « c’est moi qui devrais être dans le box des accusés » soutient l’adolescente, rappelant que son mensonge est à l’origine de la funeste rumeur. Aurait-elle pu être stoppée ? C’est la raison de sa présence…
La jeune fille l’avoue sans problème, elle faisait « des conneries » à l’époque. Mais elle s’efforçait de le cacher à ses parents, par exemple en sachant contrefaire la signature de sa mère pour les mots d’absence. Comme celui du mardi 6 octobre 2020, date à laquelle elle aurait dû assister au cours de Samuel Paty portant sur la liberté d’expression. Ce jour-là, Zohra supplie sa mère Latifa* de ne pas aller au collège à cause du mal de ventre provoqué par ses menstruations. Elle lui accorde alors sa bénédiction pour faire l’école buissonnière.
Toutefois, à force de jouer avec le feu, elle finit par se brûler. Le lendemain, Latifa apprend que sa fille est exclue du collège du Bois d’Aulne pour deux jours à cause de son comportement. Afin d’éviter l’ire de sa maman, Zohra trouve vite une planche de salut : le fameux cours de son professeur d’histoire-géographie. D’après les dires de ses amis qui ont été choqués par les images et lui assure que l’enseignant aurait déclaré « les musulmans vous pouvez sortir car vous allez être choqués ». L’adolescente construit alors un récit où elle se donne le beau rôle, celui de héraut de la Justice. Après cette phrase, elle se serait interposée : « Non, un cours c’est pour tout le monde ». Le ton monte, le prof affiche la caricature de Mahomet dans une position suggestive et assène « voici le prophète des musulmans ». Et comme la collégienne n’en démord pas, Samuel Paty lui indique de prendre la porte. Sauf que tout ceci ne s’est jamais passé…
De marbre face à la DGSI
Zohra persistera dans son mensonge pendant près de deux semaines. Dès le lendemain, lorsqu’Abdelhakim Sefrioui la filme puis, toujours lors de la même journée, face à une policière quand son père – anxieux de la voir si triste – décide de l’amener pour porter plainte. Même après la décapitation de Samuel Paty, elle résiste aux agents de la DGSI pour finalement craquer lors d’une garde à vue de 30 heures.
Franck Zientara, le président de la cour, lui cherche des excuses. « Vous aviez peur d’être frappée ? » demande-t-il. « Non, juste de décevoir mes parents car la scolarité est très importante pour eux » répond la jeune fille. Elle surprend même la cour en assurant que son père prenait toujours le parti des enseignants en cas de différend à l’école. Franck Zientara ne peut s’empêcher de lâcher un « ah bon » dans la foulée. Elle finit par présenter ses excuses à la famille Paty.
Les avocats des parties civiles s’exaspèrent, à commencer par Me Le Roy. « Vous ne l’aviez pas fait il y a un an, qu’est-ce qui a changé ? » s’indigne, l’avocate. « J’avais tenté de le faire mais c’était la première fois que je voyais des juges. Alors que là, c’est la dernière fois que je me retrouve en face d’eux » se justifie l’adolescente. Après d’autres passes d’armes, notamment face à Me Francis Szpiner, avocat du fils de Samuel Paty, l’armure de Zohra s’effrite enfin face à Me Franck Berton. D’une voix douce, l’un des avocats de son père lui demande : « Regardez votre père, depuis combien de temps vous ne l’avez pas vu ? Il a vieilli ? » Zohra pose alors son regard sur Brahim Chnina et éclate en sanglots…
* les prénoms ont été modifiés
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