Un verdict « politique » pour la défense, une victoire pour la famille de Samuel Paty

Le 19 décembre, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict : les huit accusés ont été déclarés coupables. Les peines, allant entre un et seize ans de prison, sont parfois plus lourdes que les réquisitions, ce qui a provoqué un vif émoi de la part de leurs avocats. Quatre d’entre eux ont décidé de faire appel.

Au soir du 16 décembre, la famille de Samuel Paty fait triste mine. Gaëlle et Mickaëlle, les deux sœurs du professeur d’histoire-géographie viennent d’entendre les réquisitions des avocats généraux : elles vont de 18 mois de prison avec sursis jusqu’à 16 ans de réclusion criminelle. La première, par la voix de son avocate Maître Virginie Le Roy, les trouvent « scandaleuses ». « C’est plus qu’une déception, c’est le moment où on a l’impression de se battre pour rien » balance la seconde face aux caméras. Pourtant, à écouter le discours de l’avocat général, elles ­semblaient avoir été comprises.

D’emblée, le magistrat a dénoncé les calomnies proférées à l’encontre de l’enseignant du collège du Bois d’Aulne, précisant que celui-ci n’a commis aucune erreur dans la construction de son cours. Aucun des « oui mais » émis par certains condamnant son assassinat – ces mêmes « oui mais » qui exaspèrent Mickaëlle Paty depuis plus de quatre ans – n’avait donc lieu d’être. « Il était dénué de toute volonté de choquer » assure l’homme de loi. De plus, les multiples témoignages ont permis de démystifier la phrase « les musulmans, sortez » avant la vision des premières caricatures. Ces mots n’ont pas été prononcés et surtout, l’avocat général assure grâce à de nombreux témoignages : « Elle a été unanimement comprise, tant par les élèves que par les professeurs de l’établissement, y compris ceux qui l’ont critiqué, comme une marque de bienveillance, de délicatesse, exprimée dans un souci de protection. »

Il insiste également sur un autre point. La mort d’Abdoullakh Anzorov n’aurait rien changé aux événements actuels. Il y aurait bien le même procès, avec les mêmes personnes présentes dans les box des accusés. L’enquête, conduite méticuleusement, a bien remonté la chaîne de responsabilité dans cette affaire aux retentissements nationaux. Tout part de Brahim Chnina et du mensonge de sa fille, puis Abdelhakim Sefrioui a attisé la haine de part sa vidéo, « même s’il faut le concéder » qu’elle n’enfreint aucune règle légale. Ensuite Nabil Boudaoud et Azim Epsirkhanov, ont servi d’appui logistique au terroriste tchétchène, lui cherchant des armes et assurant son transport jusqu’à Conflans-Sainte-Honorine. Et enfin les quatre autres, qui, sur les réseaux sociaux, encourageaient un Anzorov dont une ­étincelle suffisait à faire exploser.

Sept acquittements demandés

Le reste de la semaine sera d’autant plus long pour la famille Paty, puisqu’en plus de ces peines considérées comme « légères », elle fera face aux plaidoiries des avocats de la défense. Chacun dressera un portrait positif de son client – chose tout à fait normale dans notre système judiciaire – et demandera l’acquittement à la fin de sa démonstration. Pêle-mêle, nous pouvons citer celui de Louqman Ingar. Le Réunionnais, dont les égarements ne seraient dus qu’à une curiosité pour comprendre la géopolitique du Moyen-Orient, a bien mûri depuis le 13 octobre 2020. Son avocate martèle que ses ancrages sont « son île, sa famille et la pratique de l’Islam dans les valeurs républicaines ». Malgré ses deux années de prison, le jeune homme de 23 ans est resté un bon élève, obtenant un BTS et désormais inscrit dans une école d’infirmier. Azim Epsirkhanov est presque là au mauvais endroit, au mauvais moment. Il ne peut le cacher, Anzorov était son meilleur ami au collège, mais depuis, ils ne se voyaient plus, ce qui le rendait parfois nostalgique. Comme lorsqu’il lui envoie une photo durant l’été 2020 avec la mention « mon frère ». Pour preuve, les deux Tchétchènes ne se sont vus que trois fois en 2024, dont deux la veille et l’avant-veille de l’assassinat de Samuel Paty. Surtout, Anzorov savait être duplice, ­scindant ses univers et où il pouvait montrer sa radicalisation.

Il a fallu un cordon de sécurité pour évacuer la salle des grands procès car les proches des accusés manifestaient leurs oppositions suite au verdict.

Quant à Brahim Chnina, son avocat préfère attaquer en frontal Mickaëlle Paty, « pour garder son frère avec elle, fait des choses insensées », et le parquet antiterroriste « qui par une pirouette veut rendre son client coupable de terrorisme ». Toutefois, il essaye aussi d’adoucir le portrait de son client. Selon lui, le père de l’adolescente a réagi ainsi parce que sa fille aurait été humiliée et discriminée. « Même les Nations unies ont qualifié les caricatures de Charlie Hebdo comme une provocation qu’il faut ignorer » rappelle Vincent Brengarth, avocat d’Abdelhakim Sefrioui. Celui qui représentait Mohamed Lamine Aberouz lors du procès de l’attentat de Magnanville défend la vidéo de son client : « C’était pour combattre l’islamophobie. »

Finalement, seul Gamaev trouve grâce aux yeux du tribunal. Puisqu’au-delà d’avoir plaidé coupable, il s’est imposé un devoir de clarté afin d’expliquer sa radicalisation. « Une lucidité rare, avec une introspection assumée », dixit les propres mots du parquet, même la FENVAC (Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectifs) a ouvert la voie pour une éventuelle collaboration.

Mickaëlle Paty escortée pour sortir du tribunal

C’est donc dans ce choc des extrêmes qu’allait s’ouvrir la journée de vendredi. Cependant, Franck Zientara, le président de la cour, avait prévenu que l’attente serait longue : l’audience ne reprendrait que sur les coups de 20 h. Quand la salle des grands procès s’ouvre enfin une heure avant, il y a un côté moment suspendu. Toutes les familles des accusés sont là, le sourire aux lèvres. Est-ce qu’elles croient vraiment à l’acquittement ? En face, le fils de Samuel Paty prend place au côté de sa mère et de sa tante Gaëlle. S’il ne pouvait pas poser directement de questions, le petit garçon de 9 ans tenait à assister au dénouement d’un procès qui aura duré sept semaines. 20h00, la sonnerie retentit et coupe nette toutes les discussions, le silence s’installe. « Accusés, levez-vous ! » prononce Franck Zientara.

Le verdict n’a été prononcé qu’à partir de 20 h le vendredi 20 décembre.

Il n’y va pas par quatre chemins. Tous sont déclarés coupables, avec pour certains des peines au-delà des réquisitions prononcées par les avocats généraux, et tous auront la mention de « terrorisme » dans l’intitulé de leur condamnation. Les premiers sanglots éclatent alors, rejoints par des hurlements ou des applaudissements moqueurs. Les policiers et les gendarmes doivent intervenir pour calmer la salle. Ils encerclent même les bancs afin de prévenir toute échauffourée, l’atmosphère devenant ainsi électrique. Les masques tombent, notamment celui de Sefrioui. Le prédicateur islamiste, condamné à 15 ans de réclusion criminelle, ne peut cacher sa détresse et sa rage. « C’est une décision politique ! » hurle-t-il, assurant déjà qu’il fera appel. Sa vraie nature apparaît enfin aux yeux de tous, celle entrevue dans la vidéo « l’islam et le prophète insultés dans un collège public, le vrai séparatisme ». Brahim Chnina écope de 13 ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste. Une de ses filles devient virulente. « Mon père est innocent, qu’est-ce que vous n’avez pas compris pendant un mois ? » scande-t-elle avant d’être reprise par sa mère, « tais-toi, ton père est déjà dans la merde ». Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud sont bien qualifiés de complices et devront rester 16 ans derrière les barreaux. Les deux hommes sont sonnés et ne trouvent pas leurs mots lorsque le président de la cour leur demande s’ils ont bien compris leur peine.

Un cordon de sécurité est établi pour sortir de la salle. Thibault de Montbrial, l’un des avocats de Mickaëlle Paty, est le premier à se présenter au point presse. « Les actes ont été condamnés à hauteur de leur gravité » assène-t-il le sourire aux lèvres. Même son de cloche pour Gaëlle Paty qui peut enfin lâcher un « on a gagné ».

Dans le camp d’en face, on ne pèse plus les mots. Vincent Brengarth et Ouadie Elhamamouchi parlent de leur client comme un prisonnier politique, le second craignant même pour « le futur de la liberté d’expression dans notre pays ». En parallèle de cette ambiance délétère, Mickaëlle Paty doit être escortée par la police afin d’échapper aux menaces des familles des victimes.

Finalement le combat n’est pas fini. Quatre accusés – Brahim Chnina, Abdelhakim Sefrioui, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud – ont décidé de faire appel de leurs condamnations. Un nouveau procès aura donc lieu dans un an ­minimum…