Décharges sauvages : un avenir pour la plaine, oui mais à long terme

A Triel-sur-Seine jeudi soir, élus, citoyens, associations et une députée ont échangé quant aux solutions possibles pour l’après-nettoyage. Au regret de certains présents, pour qui la présence des déchets reste un problème qu’il faudrait résoudre à très court terme.

A cheval sur Chanteloup-les-Vignes, Triel-sur-Seine et Carrières-sous-Poissy, l’ex-plaine maraîchère, devenue « mer de déchets » selon une appellation désormais communément admise, a franchi toutes les étapes de la médiatisation, jusqu’à une enquête de l’AFP diffusée dans le monde entier. Jeudi dernier à Triel-sur-Seine, à l’invitation d’associations et du Journal des deux rives, une réunion publique visait à réfléchir à l’avenir de ces 300 à 330 ha.

Délaissées depuis l’interdiction d’y cultiver au début des années 2000 pour cause de pollution due aux épandages des eaux usées de Paris, ses innombrables parcelles privées sont devenues friches, et un trafic de déchets franciliens y est progressivement né. Aujourd’hui, ce sont plus de 7 000 mètres cubes qui se sont accumulées selon un comptage citoyen.

Plus de 7 000 mètres cubes se sont accumulées selon un comptage citoyen.

Ils proviennent parfois de grandes sociétés, dont les documents se retrouvent dans la plaine. L’association carriéroise fondée par Anthony Effroy (FI), conseiller municipal d’opposition, a d’ailleurs porté plainte contre certaines d’entre elles la semaine dernière (avec une plainte contre X, Ndlr).

Ces déchets passent ensuite par une cascade de sous-traitants jusqu’à être transbordés dans la plaine, parfois en payant des populations Roms progressivement installées sur place depuis la fin des années 2000. Il reste un camp théoriquement évacué « avant l’été » selon l’Etat, trois autres ayant été démantelés en septembre dernier. Les Roms sont fréquemment désignés responsables, de manière erronée, de l’arrivée de ces déchets.

« C’est une première, le fruit d’un travail collectif par des citoyens exemplaires, en tant que maire d’une commune impactée, je ne peux que m’en féliciter, loue le maire triellois (DVD) Joël Mancel en inaugurant la réunion dans la salle Grelbin. Osons et espérons que les autres acteurs et institutions verront un signe positif dans cette démarche. […] Tout le monde est d’accord pour mettre fin aux dépôts sauvages. »

« Cette réunion est faite dans un but constructif », prévient le modérateur de la soirée, Rodrigo Acosta-Garcia du Journal des deux Rives.

L’institution principale, absente de la réunion au regret affiché des présents, c’est la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO). Certains élus de son exécutif approuvent discrètement l’attention médiatique portée sur la plaine dans l’espoir que la question des dépôts illégaux progresse. Tous déplorent que la médiatisation de la plaine se fasse souvent sans mentionner le projet « Coeur vert ».

Ce programme vise à cultiver le miscanthus, un végétal dépolluant, sur une bonne partie de la plaine, pour revente dans le cadre de projets industriels menés par le cimentier Calcia et le constructeur automobile PSA. « Le miscanthus paraît être une bonne solution pour dépolluer les sols », reconnaît face à la soixantaine de présents Alban Bernard, Carriérois à l’origine du site internet « Déchargeons la plaine » et de la mobilisation citoyenne en cours.

A ses côtés, le modérateur du soir se trouve quelque peu à contre-emploi, même si son métier originel d’urbaniste l’a rôdé à de telles réunions. Rodrigo Acosta-Garcia, directeur de publication du très écologiste Journal des deux rives, basé à Triel-sur-Seine, a beau faire face à des proches politiquement parlant, il n’hésite ni à les couper lorsqu’ils pestent contre les erreurs passées, ni à les interrompre lorsque les interventions se font trop longues.

Antoine Mille, de Non au pont d’Achères, considère les dépôts sauvages comme une « anecdote », et déplore surtout les milliers de tonnes de remblais issus des chantiers du Grand Paris.

« Cette réunion est faite dans un but constructif, avait-il d’ailleurs prévenu. Il est important de ne pas trop regarder le passé, ceux qui ont erré, mais de regarder l’avenir. » Antoine Mille, de Non au pont d’Achères, fait les frais de cette volonté d’apaisement. Il considère les dépôts sauvages comme une « anecdote », et déplore les milliers de tonnes de remblais des chantiers du Grand Paris déversées (en toute légalité, Ndlr) pour combler certaines parties de la plaine suite à leur exploitation sablière. « Merci pour cet état apocalyptique », est-il remercié non sans ironie.

Côté solutions, Alban Bernard dévoile le résultat des 200 votants à son sondage sur internet. Les internautes ayant répondu souhaiteraient d’abord un espace dédié à la nature et aux activités sportives, puis approuvent le projet « Coeur vert ». En troisième et quatrième positions, des serres photovoltaïques (GPSEO discute en ce moment avec des investisseurs, Ndlr), et une forêt de sapins de Noël (peu probable, une étude réalisée il y a quelques années écartant la plantation d’arbres pour raisons techniques, Ndlr).

Natalia Pouzyreff, députée LREM de la sixième circonscription, dévoile l’organisation au début du mois de juin d’un grand événement organisé par GPSEO autour de l’avenir de la plaine.

« C’est une blessure faite à la nature », indique sans ambages la députée de la sixième circonscription, Natalia Pouzyreff (LREM). Elle espère que la médiatisation de la situation de la plaine « puisse fédérer un mouvement citoyen de dire non aux décharges ». Puis répète, comme les élus de GPSEO l’ont déjà fait, que l’Etat, s’il ne mettra pas un euro dédié au nettoyage, pourrait financer un projet global de reconversion.

« Il y a un enjeu foncier et juridique », rappelle la maire écologiste d’Evecquemont Ghislaine Senée d’une plaine quasi-exclusivement propriété privée, non sans déplorer l’absence d’un représentant de GPSEO ce soir-là. « Je veux les amener à communiquer plus, à échanger avec vous », complète ensuite la députée des Yvelines, avant de révéler l’organisation prochaine, au début du mois de juin, d’un grand événement organisé par la communauté urbaine autour de l’avenir de la plaine.

Son origine ? Une rencontre à la Fabrique 21, bâtiment en bois dédié à l’éco-construction en bordure de la plaine, entre le responsable de l’association locale Energie solidaire, Natalia Pouzyreff et le maire Christophe Delrieu. Les derniers détails doivent en être réglés dans les prochains jours, explique-t-il à La Gazette : « Le principe de l’organisation est calé. »

L’association World cleanup day a annoncé son intention d’un nettoyage « coup de poing » en coordination avec la communauté urbaine.

L’association World cleanup day était présente jeudi dernier à Triel-sur-Seine. Elle a indiqué sa volonté de participer à une opération de nettoyage partielle mais « coup de poing », peut-être même dans le cadre du colloque de GPSEO, avec qui elle travaille d’ailleurs en coordination.

L’association souhaite en effet utiliser la situation carriéroise pour sensibiliser à la question des déchets en vue de sa grande journée de nettoyage mondial, le 15 septembre prochain. Il y aurait « un premier temps citoyen et une deuxième temps avec les entreprises » partenaires de l’association, poursuit Virginie Guérin, salariée de l’association.

Demandé par de nombreux élus et citoyens de tout bord, cet événement prévu sur au moins une journée, peut-être plus, sera destiné à ce que « tout le monde puisse comprendre les enjeux financiers qu’il peut y avoir sur ce type de projets », car « le nettoiement est très secondaire » en termes d’argent public qui sera dépensé pour réaménager l’ex-plaine maraîchère, détaille Christophe Delrieu.

Pourtant, jeudi dernier, à une partie des présents qui échangent poliment quant à l’avenir de la plaine, toujours sur une échelle de plusieurs années, l’autre partie de la salle proteste parfois très vivement. « La question, ce soir, elle est concrète, j’ai l’impression qu’on se perd un peu dans toutes les explications, déplore ainsi un Andrésien ramenant à la stricte question des décharges. Comment on se sort de cette situation rapidement ? Il faut absolument bloquer les accès ! »

« La priorité, aujourd’hui, c’est de fermer la pleine, de la sécuriser, demande le Triellois Jean-Claude Moulineau sous l’approbation d’une partie de la salle.

Le propos est repris par Jean-Claude Moulineau, Triellois et porte-parole du collectif né en 2017 pour exiger le départ des Roms du dernier camp situé à l’entrée de Triel-sur-Seine. « La priorité, aujourd’hui, c’est de fermer la pleine, de la sécuriser, demande-t-il une nouvelle fois sous de bruyantes approbations d’une partie de la salle. Qui va aujourd’hui fermer ces accès, qui porte la fermeture, les maires ou la communauté urbaine ? »

Comme le sous-préfet quelques semaines plus tôt dans la même salle, la députée Natalia Pouzyreff défend l’action de l’Etat et des collectivités. « On ne peut pas fermer les accès tant qu’il y a des Roms », assure-t-elle (le sous-préfet avait indiqué que les quelques agriculteurs restants avaient aussi besoin d’accès, Ndlr). « On se moque du monde », commente après la réunion l’ex-maire carriérois Eddie Aït, qui y était présent. Pour lui, furieux contre la députée, « la recherche d’un bouc-émissaire n’est plus de notre temps. »

Natalia Pouzyreff, elle, a plaidé une dernière fois le caractère positif de cette mobilisation citoyenne puis médiatique autour de la plaine. « Je pense que votre action a été bénéfique, et que GPSEO ne peut plus reculer », félicite-t-elle jeudi. Elle se montre aussi plus rouée qu’on ne pourrait croire une jeune députée, à propos des moyens politiques permettant de faire participer financièrement l’Etat au projet global : « Il va falloir trouver des solutions très innovantes », avance-t-elle en suggérant « d’attirer l’Etat par l’expertise », puis de suggérer une participation aux solutions proposées.