80 ans après la Victoire, comment réinventer le devoir de mémoire ?

Alors que le pays s’apprête à célébrer le 80ème anniversaire de la victoire des Alliés sur le nazisme, plusieurs communes de la Vallée de Seine tentent de dépoussiérer les commémorations traditionnelles afin de faire perdurer le devoir de mémoire chez les nouvelles générations.

Pendant que certaines nations étrangères ne se retrouvent qu’une fois par an autour d’un « Memorial Day », la France rythme son calendrier commémoratif autour de onze journées nationales, et réfléchit même à en instaurer de nouvelles. Mais même si nous sommes bien ceux qui commémorent le plus, la fréquentation des cérémonies de mémoire s’étiole ­inexorablement.

Trop figées ? Trop nombreuses ? Trop fermées ? Difficile d’identifier une seule et unique cause. Mais pour Michel Bretin, membre de l’Union Nationale des anciens Combattants (UNC) de Flins-sur-Seine, la clé réside dans la transmission aux jeunes générations. Oui, c’est facile à dire. Toutefois, il a pris le problème à bras le corps dès l’année dernière en lançant une initiative inédite dans le département : former de jeunes porte-drapeaux.

20 inscrits pour la formation de porte-drapeau

« Il faut que les jeunes commencent à savoir qu’il ne faut pas oublier le devoir de mémoire et ce que ça représente, nous glissait le président de l’UNC, Calixte Authier, lors de la première journée de formation. On leur dit bien que c’est grâce à ces gens-là que vous êtes ce que vous êtes, que vous faites ce que vous pouvez faire, sans restriction ».

Après avoir partagé leur savoir et leur expérience à 14 jeunes yvelinois l’année passée, l’UNC de Flins-sur-Seine remet ça cette année, ce samedi 10 mai à la salle Beltrame de Poissy, avec déjà pas moins de 20 inscrits à l’heure où nous écrivons ces lignes. « C’est une vraie satisfaction, avoue Michel Bretin. Comme l’année dernière, la matinée sera dédiée à la théorie avant de s’essayer au maniement des drapeaux l’après-midi ».

Après la réussite du 1er septembre dernier, le grand défilé en costumes d’époque sera une nouvelle fois organisé entre le cimetière de la Tournelle et le centre-ville pisciacais, ce jeudi 8 mai en fin de matinée. (Ville de Poissy)

Concerner les jeunes dans ces moments de mémoire, cela passe aussi par des cérémonies qui vont au-delà du protocole traditionnel que l’on connaît. Et ça, la Mairie de Poissy l’a bien compris. Pour fêter en grande pompe le 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et la capitulation de l’Allemagne, ce jeudi 8 mai, elle a concocté une programmation particulièrement ambitieuse.

« Je pense qu’il faut faire évoluer ces cérémonies, raconte Jean-Jacques Nicot, adjoint délégué à l’événementiel et à l’origine du programme du 8 mai. Il y a une tendance à faire tout le temps la même chose, alors cette année, on a voulu mettre une touche supplémentaire, avec de l’ambiance ».

Cette « touche supplémentaire », elle se traduit, par exemple, par la présence de véhicules civils et militaires d’époque avec le Groupe de matériel de collection Overlord, ainsi qu’une fanfare militaire dans le défilé qui ralliera le centre-ville après la traditionnelle cérémonie, qui se tiendra à 10 h au monument aux morts du cimetière de la Tournelle. Mais ce n’est pas tout. Les Pisciacaises et Pisciacais pourront même y croiser… le Général de Gaulle. Ou presque. « Il y a 2 ans, j’ai croisé une personne dans la halle du marché de Poissy, et je me suis dit : « celui-là, il pourrait être le sosie du Général ! » se souvient l’élu. Je lui ai demandé, et il m’a répondu : « non mais ça va pas ? » Depuis, il a réfléchi, et il se retrouve partout dans des animations à jouer De Gaulle ». Déjà présent lors de la célébration du 80ème anniversaire de la Libération le 1er septembre dernier, il sera une nouvelle fois présent lors des festivités pisciacaises de ce ­jeudi 8 mai, à bord d’une Jeep puis d’une DS.

L’exposition « Cheminots et Résistance à Mantes » a fait connaître au plus grand nombre la riche histoire ferroviaire du Mantois, et le combat de ses acteurs face au nazisme.

Les habitants sont même invités à se parer de vêtements d’époque pour rejoindre le cortège qui se veut « intergénérationnel et populaire ». « On a fait passer le message aux élus, de mon côté, je sortirai le costume 3 pièces », s’amuse Jean-Jacques Nicot. Une fois le défilé arrivé sur le parvis de la mairie, place à la « Fête républicaine » avec animations musicales. « On veut donner une ambiance swing et guinguette, avec un orchestre et même des démos et initiations de danse pour que ce soit festif, participatif », raconte l’élu.

Outre la participation du Conseil Municipal des Jeunes à la cérémonie, plusieurs initiatives permettent d’impliquer la jeunesse pisciacaise dans le devoir de mémoire. Le passeport du civisme, par exemple, les invite à participer à un maximum de cérémonies dans l’année pour y apposer un tampon et, de fait, réduit significativement la moyenne d’âge des personnes présentes aux commémorations. « Il y a un aspect officiel légitime et qui continue à se poursuivre, mais aujourd’hui, il faut s’investir, conclue-t-il. Et tout ça, c’est des portes d’entrées ».

« Il faut faire évoluer ces cérémonies »

À Mantes-la-Jolie aussi, on a préparé un programme fleuve, et surtout varié, pour célébrer le 80ème anniversaire de la victoire contre le nazisme. La cérémonie traditionnelle, prévue jeudi à 12 h devant le parvis, sera suivie d’une « évocation théâtrale sur l’engagement et les choix faits par des femmes » face au fascisme, tandis qu’un circuit pédestre permettra, dimanche, de marcher sur les traces des figures de la Résistance mantaise dans le centre historique. Mais depuis le 28 avril et jusqu’à ce dimanche, c’est le rapport entre les cheminots du Mantois et la Résistance qu’ont choisi d’explorer les membres de l’Institut d’Histoire Sociale de la région mantaise, à travers une exposition réalisée en partenariat avec l’association historique Les Amis du Mantois, et accessible de 14 h à 17 h au Pavillon Duhamel.

« Personne n’en parle, alors qu’ils étaient les premiers à être confrontés aux nazis », raconte Roger Colombier, retraité de la SNCF, historien et fondateur de l’IHS. Pendant 1 an, les membres de l’Institut ont rassemblé de nombreuses archives, mêlant photos, lettres et documents d’époque retraçant la lutte des résistants au fil des sabotages et des réseaux d’entraide. « On a voulu montrer pourquoi la résistance était si forte au sein de ce carrefour ferroviaire », raconte l’ancien ­cheminot.

En plus d’avoir permis la transmission d’une histoire locale souvent méconnue, l’exposition a même ravivé une mémoire intime : celle d’une Mantaise qui y a découvert une lettre de son grand-père, résistant pendant la guerre. Une correspondance qui a soudain pris un sens nouveau, replacée dans le contexte de la lutte menée par les cheminots du Mantois. Un souvenir personnel devenu, le temps d’une exposition, un fragment de mémoire collective.