GPSEO : Covoit’ici, c’est fini

La communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise ne prolongera pas l’expérimentation poursuivie depuis un an et demi au travers du réseau de court-covoiturage du quotidien, qui compte 12 stations autour des Mureaux. Un autre projet de covoiturage est en cours de réflexion.

L’expérimentation du réseau de covoiturage Covoit’ici, 17 stations dont 12 dans les Yvelines, ne sera pas reconduite en novembre par la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO). Ses élus la jugent en effet peu concluante, compte tenu du très faible nombre de trajets effectués et de l’investissement nécessaire pour continuer. Ils privilégient un autre covoiturage encore à définir. Chez les autres partenaires, si le conseil départemental du Val d’Oise n’a pu indiquer ses intentions avant publication, le Parc naturel régional du Vexin (PNRV) français ne cache pas sa déception.

Chez Ecov, qui déploie et gère le réseau de covoiturage à travers le consortium Covoit’ici, toutes les planètes étaient pourtant alignées en ce printemps 2018. Cette jeune pousse de l’économie sociale et solidaire, créée en 2014, est largement citée dans la presse nationale lorsque le covoiturage de courte distance est évoqué. Des partenariats sont discutés avec de très importantes collectivités locales. Enfin, jusque-là financée par deux fonds d’investissement (dont l’un appartient à Renault, Ndlr), elle décroche 1,2 millions d’euros de l’Etat apportés à son capital par la Caisse des dépôts.

Tout avait commencé lorsque GPSEO était encore divisée en six : la communauté d’agglomération Seine et Vexin, autour des Mureaux, présidée par son maire François Garay (DVG), passionné par les transports, décide d’expérimenter. « Peut-être que demain, la voiture que vous allez prendre ne sera plus seulement à vous, expliquait-il encore la semaine dernière lors d’une réunion publique dédiée au pôle gare. Vous allez la prendre, la déposer, et aller dans un autre endroit avec une autre. »

Et Covoit’ici, de la bouche d’un des deux cofondateurs Thomas Matagne, n’est pas qu’un premier réseau expérimental : « C’est une expérience pionnière en France, et en Europe à notre connaissance, sur le fait que le covoiturage devienne un élément de service public, avec des infrastructures et un service complet porté par les collectivités. » Lancé début 2016, il réunit aujourd’hui environ 3 500 usagers inscrits.

« Ce qui est sûr, c’est qu’on en sort : c’est un fiasco, il y a des stations où on a quelques montées par an ! » Vice-président chargé des transports à GPSEO, le nouveau maire de Rosny-sur-Seine, Pierre-Yves Dumoulin (LR), ne mâche pas ses mots : « Aujourd’hui, le bilan de ce truc est que ça ne marche pas. Les dernières stations qu’on a déployées n’ont pas montré d’engouement. » Bientôt sorti du consortium, GPSEO a choisi de ne pas créer les trois dernières stations prévues au contrat de cet essai pour lequel les partenaires, des collectivités à l’Etat, ont investi un million d’euros.

« Des milliers de kilomètres de covoiturage ont été faits par des gens qui ne se seraient pas déplacés, ou dans de mauvaises conditions », note le cofondateur d’Ecov, créatrice de Covoit’ici.

« L’expérimentation court jusqu’en novembre », signale Thomas Matagne. « Depuis toujours, c’est compliqué, poursuit-il cependant des relations entre Ecov et la communauté urbaine. Ca a conduit à des impacts sur la réalisation de l’expérimentation, par exemple, aujourd’hui, l’équilibre économique projeté n’est pas assuré, le déploiement partiel induit des coûts pour nous, alors qu’inversement, certains partenaires sont très engagés comme le parc naturel et le Département [du Val d’Oise]. »

Il rappelle par ailleurs que « la Région Île-de-France (qui n’a pu commenter avant publication, Ndlr) et l’Etat soutiennent GPSEO pour plus de 50 % du financement du projet » et donc le déploiement des stations. S’il reconnaît que « le résultat global n’est pas encore à la hauteur de l’usage qu’on visait », il estime cependant que l’expérience « est très loin d’être négative ».

D’abord parce que « des milliers de kilomètres de covoiturage ont été faits par des gens qui ne se seraient pas déplacés, ou dans de mauvaises conditions ». Ensuite car « plus d’une dizaine d’études ont été menées » par deux salariés-thésards « sur des aspects comportementaux, de perception du service, d’ergonomie », entre autres (voir encadré).

Alors, « l’usage moyen sur le réseau est insuffisant » avec certaines stations « très peu utilisées », mais il rappelle que « c’est le principe de l’innovation d’avoir des réussites et des échecs ». Selon lui, « on a appris énormément, on a énormément de perspectives d’évolution, d’amélioration et de changements dans le service qui permettent de penser que cette expérience est extrêmement constructive ».

A cheval sur le Val d’Oise (trois stations, Ndlr) et les Yvelines (quatre stations, Ndlr), le Parc naturel du Vexin français ne cache pas sa déception. « C’est une décision attendue mais nous sommes désappointés, c’est un abandon qui nous semble prématuré dans la mesure où nous sommes dans une expérimentation, déplore ainsi son président Marc Giroud (DVD). C’est pour nous une sorte de rupture extrêmemement pénalisante, le Vexin français fonctionne avec ces deux grandes agglomérations, GPSEO et Cergy. »

Il se dit aujourd’hui « très préoccupé par les habitants des parties rurales du Vexin de GPSEO, qui de ce fait vont perdre une des rares possibilités de se déplacer dans un mode qui, maintenant, est inscrit dans les logiques de transport collectif ». Marc Giroud prévient d’ailleurs que « les habitants des Yvelines et au-delà vont en pâtir » compte tenu du fait que « s’il n’y a pas de réseau, on ne peut jouer tous seuls ». Alors, pour ce maire rural, « ça ne permettra pas à toutes les parties du territoire de fonctionner ».

« Le bilan de ce truc est que ça ne marche pas. Les dernières stations qu’on a déployées n’ont pas montré d’engouement », critique Pierre-Yves Dumoulin, vice-président aux transports de GPSEO.

Par ailleurs, à la logique d’Ecov pour qui « le côté concret est important » avec un maillage de stations (aujourd’hui doublées d’une application mobile, Ndlr), une autre se développe exclusivement par des applications. Ces dernières, mises en avant et subventionnées par le conseil régional d’Île-de-France, particulièrement pendant les grèves, mais ont montré une efficacité limitée par manque de chauffeurs, conclut Le Parisien dans un récent article titré « Grève : le flop du covoiturage en Île-de-France ».

Dans la partie centrale des Yvelines se développe un autre réseau, Pouces d’Yvelines, qui met en place un auto-stop rural, avec 20 communes et plus de 500 inscrits à ce jour. « Le covoiturage aujourd’hui, c’est partir du principe qu’on peut ne pas être pris dans les cinq minutes, mais avec plus de confiance et de solidarité, ce temps d’attente se réduira, analyse Yvann Lombart, son chargé de communication. Il y a une organisation et une confiance qui se créent progressivement, comme le bus qu’on prend le matin. »

Début avril, lorsque Pierre-Yves Dumoulin annonce l’abandon probable de Covoit’ici au conseil communautaire, une seule voix s’élève, et ce n’est pas celle de François Garay. « Plutôt que parler d’un échec sur le territoire de Covoit’ici, il faut se demander comment mettre les outils en place », enjoint l’élue d’opposition et maire d’Evecquemont, Ghislaine Senée (EELV). Du futur système qui remplacera éventuellement le réseau d’Ecov, elle souhaite « impliquer la population pour leur demander les endroits les plus évidents afin d’y faire du covoiturage ».

Chez Pouces d’Yvelines, Yvann Lombart se demande si « Covoit’ici n’est pas avant-gardiste, et comme tout avant-gardiste, il en paie un peu les conséquences ». Thomas Matagne envisage d’ailleurs un essor futur du court-covoiturage similaire à celui de l’usage du vélo. Pourtant, « ce projet, quand on l’a créé il y a plus de trois ans avec les différents partenaires, on disait que le covoiturage allait devenir un élément de politique publique de mobilité, personnne n’en parlait ou s’intéressait au sujet… »

Chez GPSEO, où les élus de l’exécutif ont « du mal à boucler le budget », il est envisagé de faire des stations de covoiturage des stations « ouvertes » afin de « ne pas perdre totalement l’investissement public qui a été fait », indique Pierre-Yves Dumoulin. L’intégration à Pouces d’Yvelines, un temps envisagée, est d’ailleurs elle aussi à l’arrêt :
« Tous ces projets-là sont suspendus en attendant qu’ils soient arbitrés [financièrement]. »

Seule certitude à la communauté urbaine : hors de question de « mettre de l’argent et que ce soit un échec, comme Covoit’ici, dans quelques années », précise de l’avenir le vice-président aux transports. « On s’est déjà largement battus pour continuer cette collaboration, on ne va pas continuer à se battre éternellement », remarque avec un peu de lassitude Thomas Matagne, sans fermer la porte : « On reste disponible si GPSEO veut recommencer à travailler avec nous. »

Covoiturage : de premiers enseignements tirés de Covoit’ici

L’entreprise Ecov, créatrice du réseau Covoit’ici, ne compte pas deux thésards pour rien parmi ses salariés. Le consortium Covoit’ici, en partenariat avec l’école des Ponts, a d’ailleurs déjà produit une dizaine d’études scientifiques grâce aux données récoltées. « On a montré, par exemple, qu’il n’y avait pas d’élasticité de la participation des conducteurs au prix (payé par le passager, Ndlr) : la participation est très orientée sur la solidarité, le partage de frais vient dans un second temps », révèle ainsi son cofondateur, Thomas Matagne.

Ecov aurait également « montré qu’on arrivait à avoir sur certaines stations un temps d’attente moyen inférieur à dix minutes (Ecov vise deux minutes à terme, Ndlr). ». Celui-ci est « comparable à un service public de qualité », même s’il souffre cependant encore de « problèmes de variabilité sous ce temps d’attente moyen ».

La participation des conducteurs est plus élevée en milieu rural qu’urbain, avec pour résultat « un service meilleur même si le nombre de voitures est plus faible », poursuit Thomas Matagne. Cela aurait dévoilé des besoins de confiance et de sécurité de la part des conducteurs, il évoque ainsi la gare des Mureaux où « les conducteurs s’arrêtent beaucoup moins ».

Car l’emplacement des stations est crucial. « Une des choses qu’on a complètement sous-estimées est le besoin d’adapter la voirie avec un peu de génie civil pour faire des arrêts corrects, comme pour un arrêt de bus, rapporte le cofondateur d’Ecov. On a montré par des études que le côté pratique au sens général était important. » Théoriquement toutes installées fin 2016, les bornes devaient d’ailleurs pouvoir être déplacées ou adaptées, mais « comme on n’a pas installé toutes les stations », le consortium Covoit’ici n’a pu passer à cette seconde étape, regrette-t-il.