En début de semaine dernière, la salle des Grands Procès de la cour d’assises spéciale de Paris était remplie plus qu’à l’accoutumée. Et pour cause ! Deux des protagonistes de l’assassinat de Samuel Paty étaient amenés à s’expliquer à la barre. Brahim Chnina ouvre le bal le 2 décembre. Derrière son box, le père de l’adolescente coupable d’avoir lancé la fausse rumeur paraît bien affaibli. « Seuls les médicaments me font tenir debout » souffle le quinquagénaire qui a l’air d’en avoir dix de plus. Chaque réponse est saccadée, le son de sa voix semble même difficile à sortir de ses entrailles.
« Ce que j’ai fait, c’est irréparable. Je regrette infiniment » lance-t-il après une nouvelle salve d’excuses auprès de la famille de l’enseignant. Toujours dans son rôle de « papa poule », Brahim Chnina refuse de mettre l’entièreté de la faute sur le dos de sa fille qu’il n’aurait pas « dû croire à 100 % » : « Elle a commis une erreur et moi j’en ai fait autant. » L’homme de 52 ans commence donc par justifier sa fureur. Il croyait que le professeur d’histoire-géographie n’aimait pas les musulmans. « Ce qui m’a fait le plus mal ? L’exclusion, la discrimination et ensuite les caricatures, dans cet ordre » énumère le cofondateur d’une association d’aide aux personnes à mobilité réduite pour se rendre en pèlerinage à La Mecque.
Brahim Chnina aurait donc agi sous le coup de l’émotion lorsqu’il a envoyé ses messages sur des groupes WhatsApp, dont certains comptaient jusqu’à 250 personnes. Idem quand il tourne sa vidéo après avoir exigé une entrevue avec la principale du collège du Bois d’Aulne, vidéo qui permettra à Abdoullakh Anzorov d’identifier sa future victime. D’ailleurs, les deux hommes se seraient parlés neuf fois entre le 9 et le 13 octobre 2020. Toutefois, il ne se souvient guère de la teneur de leur conversation. « Il a dû soit me proposer une aide financière, soit me dire qu’il allait être présent à la manifestation que nous préparions avec Abdelhakim Sefrioui » balbutie le prévenu.
Entre ici Jean Moulin…
Le quinquagénaire assure qu’il n’avait aucune intention de faire du mal à Samuel Paty. « Alors pourquoi vous vous êtes acharné ? » rétorque Me Le Roy, avocate des parents et de l’une des sœurs de l’enseignant. « J’ai essayé de créer un lien avec Monsieur Paty, ça n’a pas marché. Si on avait réglé ça entre hommes, il ferait encore ses cours » lâche Brahim Chnina. Moment de stupeur dans la salle…
Le lendemain, Abdelhakim Sefrioui est, quant à lui, beaucoup plus affable. Il a étudié son propre dossier et se présente avec une chemise bleu clair sans un pli ainsi qu’une barbe soigneusement taillée en collier. Durant tout son interrogatoire avec Franck Zientara, le prédicateur islamiste tentera de dicter le rythme des débats, reprenant çà et là les questions du président de la cour.
Il se défend de tout fanatisme religieux, même quand on lui rappelle ses accointances avec le Parti de la justice et du développement (parti politique marocain conservateur de droite, d’idéologie islamiste, Ndlr) ou sa librairie installée rue Jean-Pierre-Timbaud (XIème arrondissement de Paris) dans le « quartier latin islamique ». Tout ce qu’il désire, c’est dénoncer l’injustice. « Comme dit Dieu, discute avec la bonne parole et le bon comportement » expose l’ex-professeur d’abord dans un arabe parfaitement clair – toujours dans l’optique d’appuyer son côté savant – puis en français. « Epris de liberté », Abdelhakim Sefrioui a aussi fondé le collectif propalestinien Cheikh Yassine en 2004, en hommage à l’un des fondateurs du Hamas. « Un symbole de résistance » s’exclame-t-il avant d’oser une comparaison lunaire avec Jean Moulin : « Il était considéré comme un terroriste pour les Allemands, un résistant pour les Français. »
Qu’importe, selon lui, il ne fait même pas partie de l’engrenage macabre qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty, malgré sa vidéo mise en ligne. Sa ligne de défense est claire : selon la SDAT, celle-ci est sortie quatre jours après qu’Abdoullakh Anzorov ait planifié son attentat, et surtout, elle est restée dans le cadre légal. Enfin, Sefrioui affirme que s’il avait été présent en cette journée du 16 octobre, il aurait tout fait pour « empêcher ce crime odieux », avant de remettre en cause l’État : « Si tout le monde savait qu’il y avait un risque imminent, pourquoi les autorités n’ont rien fait pour protéger Samuel Paty ? »
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