L’ élection du canton de Mantes-la-Jolie, qui comprend en plus les communes de Mantes-la-Ville, Magnanville, Rosny-sur-Seine et Buchelay, sera particulièrement scrutée. En plus du président actuel du Département, candidat à sa réelection, Pierre Bédier (LR, en binôme avec la première adjointe mantevilloise LREM Nathalie Pereira), six autres binômes sont également en lice. Ainsi, sont candidats, Khadija Moudnib (LREM) et le conseiller municipal de la majorité Alain Le Cam (LREM), l’ancien maire de Mantes-la-Ville Cyril Nauth (RN) et l’eurodéputée Mathilde Androuët (RN).
La gauche sera aussi de la partie avec, comme en 2015, quatre listes en présence. Les électeurs retrouveront le conseiller d’opposition communiste mantais Marc Jammet et sa colistière Binta Sy (SE), Jack Lefebvre, enseignant pendant 32 ans au collège André Chénier (POID) et Juliette André (SE), la référente France insoumise du Mantois, Audrey Hallier, avec le conseiller d’opposition magnanvillois Dylan Guelton (EELV) et enfin le deuxième adjoint magnanvillois Jean-Philippe Blot (DVG) et Martine Soret, ancienne conseillère municipale mantevilloise (PCF).
Et si l’élection sera particulièrement scrutée, c’est parce qu’elle revêt un enjeu symbolique. Symbolique car le social, première compétence du Département, a un caractère important dans un canton où le taux de pauvreté s’élèvait à 31 % en 2015, et qu’un quart des bénéficiaires du RSA sont originaires du Mantois, est le fer de lance de la plupart des candidats qui souhaitent renforcer ce pôle, en développant les services publics et la réouverture de centres de PMI.
Pour le président sortant, le Département doit, lui, continuer à accompagner l’arrivée d’Eole, projet qu’il porte depuis 30 ans, pour renforcer l’attractivité du canton. Mais elle est aussi symbolique car pour les six binômes, cette élection est l’occasion de sortir d’un « système » dont Pierre Bédier est selon eux le représentant (voir encadré).
« J’ai vraiment envie de faire des choses pour ce territoire », lance Pierre Bédier par rapport à sa candidature. Et pour lui, le prochain mandat sera d’autant plus déterminant qu’il devrait voir l’arrivée du RER E en gare de Mantes-la-Jolie fin 2024. « Le travail que nous avons fourni depuis plus d’une dizaine d’années commence à porter ses fruits », lance-t-il à propos de l’attractivité du canton. Il cite notamment l’installation en 2022 du nouveau siège social du bailleur des Résidences-Yvelines Essonne. « C’est le premier d’un processus », affirme-t-il.
Et il ne s’en cache pas, « il faut qu’on arrive à faire qu’il y ait des gens avec plus de revenus qui viennent sur place et qui consommeront », afin de favoriser l’économie résidentielle. Cependant, ce raisonnement ne tient pas, ni pour Marc Jammet, ni pour Khadija Moudnib. Pour le premier, le réaménagement du quartier gare engendrera le départ de petits propriétaires et l’augmentation des loyers et accentuera la difficulté à se loger pour les plus modestes.
Lui propose dans ce secteur la création d’un « fonds départemental ou municipal de garantie des loyers […] en échange le propriétaire dit moi je maintiens un loyer qui est accessible à tout le monde, détaille-t-il de son projet. Si jamais le locataire ne peut pas payer […] ce fonds se substitue au locataire pour garantir au propriétaire privé d’avoir un revenu. » Ce fonds pourrait ensuite se retourner contre le locataire, qui devrait payer son dû. Favorable à plus de mixité sociale, Pierre Bédier rappelle toutefois que le Département est le premier financeur du projet de rénovation urbaine du quartier du Val Fourré.
Pour la seconde, le Département est actuellement dans une logique de bétonnisation à outrance. « Est-ce au Département d’investir autant ? », s’interroge-t-elle, préférant que le Département se concentre pour développer autour des pôles gares « des projets centrés sur l’humain, centrés sur l’activité économique » en créant des pépinières de petites entreprises « afin de faire monter en compétences les habitants du territoire pour qu’ils puissent bénéficier des retombées économiques d’Eole ».
Car tous déplorent un sous-investissement du Département en matière d’action sociale. « Le Département donne 416 euros par habitant, alors que la moyenne nationale est de 592 euros », pointe du doigt l’ancienne maire mantevilloise, Monique Brochot (PS), suppléante sur la liste d’Audrey Hallier et Dylan Guelton.
Les candidats prévoient notamment l’expérimentation du revenu de base, ou encore l’augmentation du recours aux médiateurs et éducateurs spécialisés. « La prévention spécialisée est une compétence importante du Département permettant aux jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de restaurer le lien social, précise-t-elle. Il nous appartiendra de veiller à une présence territoriale, avec un encadrement professionnel en lien direct avec des structures associatives du territoire. » Son colistier Dylan Guelton, détaille également d’autres mesures : « Nous appuierons les budgets participatifs qui permettent aux habitants d’être co-décisionnaires des politiques publiques, on prévoit 5 % du budget d’investissement, ce qui représente environ 20 millions d’euros par an. »
Pour Khadija Moudnib, cette action sociale, passant le plus souvent par des subventions aux associations, doit également servir à l’autonomisation des personnes. « On veut que les gens comprennent que ce n’est pas leur rendre service et que ce n’est pas un dû […] dans le sens où si les projets développés ne sont pas de bonne qualité […] il n’y aura pas de résultat », assène-t-elle, se montrant favorable à plus de contrôle quant aux moyens alloués aux associations.
Jean-Philippe Blot souhaite que la présence de ces médiateurs soit renforcée dans les collèges. « Le Département a équipé les collèges de caméras pour soit-disant protéger mais ça ne remplace pas ni la médiation, ni la prévention, insiste-t-il. Les enfants ont besoin de contacts […]. » Le candidat souhaite également lancer un plan d’urgence de rénovation du bâti pour les collèges, estimant que le plan d’investissements de 525 millions d’euros dévoilé en mars dernier, n’est pas suivi d’effets.
Le nouveau collège du Val Fourré fait aussi débat, Jack Lefebvre regrettant la fermeture des deux établissements Cézanne et Chénier. « Le collège Chénier a une superficie [de] 23 000 m² de terrain, Cézanne a une superficie un petit peu plus supérieure de 25 000 m² et qu’on va entasser 600 élèves sur un terrain qui n’en fait que 15 000, déplore-t-il. Là on est dans une logique économique qui n’a rien à voir avec de bonnes pratiques aussi bien sur le plan sanitaire que naturellement sur le plan de l’éducation. »
En matière de santé, les candidats en présence se prononcent tous pour favoriser le maintien à domicile, mais également sur l’aide au financement de maisons de santé pluridisciplinaires, afin de lutter contre la désertification médicale. Marc Jammet, proposera lui de faire cohabiter ces subventions avec d’autres permettant la création de centres municipaux de santé, fonctionnant avec des médecins salariés. « Ça fait des nouveaux médecins sur la région mantaise et une accessibilité qui fait défaut à tous, explique-t-il. […] Quand vous avez des gens qui faute soit d’argent, soit de temps, soit de possibilités d’aller voir un médecin, les suivis médicaux s’espacent voire disparaissent. Et malheureusement, on est d’autant plus frappé qu’on est pauvre. »
L’emploi et la formation, sont également l’un des grands enjeux du canton. Alors que le collège Cézanne pourrait, à l’horizon 2022, être transformé en centre de formations dans la sécurité et le bâtiment, Pierre Bédier indique son envie de « réindustrialiser la vallée de la Seine ». Le Département est d’ailleurs en discussions avec Renault, afin de racheter les 267 ha de foncier de « façon à ce que l’usine elle se concentre sur ses métiers », et que les terrains restants puissent être loués à d’autres activités, « non-concurrentielles ».
La démarche questionne Jack Lefebvre, dont la candidature porte le combat de l’emploi. « Nous considérons que toutes les discussions sur une possible reconversion du site en je ne sais trop quelle activité n’ont pas lieu d’être aujourd’hui, la priorité c’est on maintient les emplois », indique-t-il. Pour Khadija Moudnib, l’objectif serait de renforcer l’agence interdépartementale Activit’Y pour qu’elle puisse « œuvrer dans le sens de la pérennisation de l’emploi et ne pas rester dans cette idée de l’insertion et du précaire ». Monique Brochot plaide, elle, pour la création d’un observatoire de l’insertion professionnelle.
Le développement des circuits-courts fait aussi partie des préoccupations pour ces élections, notamment à travers la société d’économie mixte à opération unique (Semop) C’midy, chargée de la restauration des collèges. « Nous avons dans le cahier des charges de cette Semop, le développement des circuits-courts, mais nous avons du mal à le remplir […] parce qu’il n’y a pas d’agriculteurs, analyse Pierre Bédier. La viande yvelinoise ça n’existe pas. Il faut aider les agriculteurs à s’engager dans cet écosystème agricole. »
Un point que partage Jean-Philippe Blot, qui prévoit toutefois d’axer ses aides auprès des futurs maraîchers, en se proposant notamment d’acheter les terrains pour éviter que le foncier ne tombe dans le domaine public. Cependant, le candidat porte une volonté de réinternaliser la restauration des collèges ainsi que leur entretien. « Il y a eu une baisse de quantité et de qualité qui a permis de retirer du personnel », regrette-t-il. En sus de cette proposition, Marc Jammet propose, lui, de baisser de 50 % le prix des repas. « Bénéficier d’un repas équilibré, gratuit, par jour scolaire, ça fait partie de la solidarité », justifie-t-il.
Le candidat RN, Cyril Nauth, se montre lui plus tranchant, quant aux enjeux de cette élection. « Je pense que ces élections elles auront davantage une importance nationale pour plusieurs raisons. La première c’est les coupler avec les régionales, qui va l’entraîner forcément vers d’autre sujets, les Yvelinois comme tous les Français vont voter […] et nous sommes aussi dans un contexte où l’élection présidentielle est dans moins d’un an, analyse-t-il. Donc tout ça fait que je pense que les enjeux strictement locaux, les compétences strictes du Département auront très peu d’importance. »
Farouchement opposé aux actions de médiations et de prévention, l’ancien maire mantevillois verrait le Département être plus actif sur les questions de sécurité, même s’il ne s’agit pas d’une compétence réglementaire : « Le Département peut se saisir de certains angles, par exemple pour soutenir les projets municipaux liés à la sécurité, il finance des écoles communales etc. donc pourquoi pas des postes de police municipale, il peut sécuriser l’environnement proche des collèges mais je pense qu’on peut aller beaucoup plus loin. »
Le « système B » dénoncé
Sur les réseaux sociaux, mais aussi lors d’interviews, plusieurs candidats ont exprimé leur souhait de ne pas voir Pierre Bédier reconduit, dans un premier temps dans son mandat puis à la tête du Département. « On parle toujours du système B, j’ai plutôt l’impression que c’est le système C. c comme corruption, c comme clientélisme », relève ainsi Pierre Sztulman (PS), suppléant sur la liste d’Audrey Hallier et Dylan Guelton, faisant référence à sa condamnation en 2009 pour corruption passive. « C’est le niveau zéro du débat politique, réagit Pierre Bédier. […] On reparle même de ma condamnation qui n’est même plus inscrite au casier judiciaire […]. Cette histoire, tous les Mantais ont bien compris que c’était une histoire de financements politiques à la mords moi le nœud. »
L’ancien maire de Mantes-la-Ville, lui, pointe aussi un système de clientélisme qui aurait été instauré par Pierre Bédier, notamment auprès des différentes communautés et estime qu’il « joue avec le feu », faisant référence à un reportage diffusé par M6 en janvier dernier. « Je connaissais l’islamo-gauchisme, je vais peut-être incarner l’islamo-droitisme, tout ça n’a aucun sens, on s’en contrefiche, on est en France, en 2021 », balaie Pierre Bédier.